Oh ! Combien de brins, combien de torons contient-elle, cette corde qui nous relie l’un à l’autre ? Et pourtant quelle immortalité fougueuse je détiens ! moi, moi tellement unique, moi qui ai choisi la couleur verte pour me vêtir un matin de décembre, un trois décembre à 8h35 alors qu’à ce moment précis je buvais le délicieux chocolat chaud préparé de la main gauche de Victorine, ma fille aux cheveux blonds, de deux cuillerées à soupe de poudre Van Houten, autant de sucre et deux verres de lait, et que pendant ce temps-là deux-cent-quarante-trois feuilles tombaient du chêne, un arbre que j’avais moi-même planté ici dans ma jeunesse, le jour où Martial, le fils de Josette m’avait remis ce gland, ce gland si brillant et si rond qu’il ne pouvait être que celui qui me donnerait de l’ombre pour toujours, pour toujours dis-je, car oui, il est impossible que de telles circonstances si particulières, non reproductibles, que personne n’a jamais vécues ainsi, que personne ne revivra jamais ainsi, ne soient pas le signe de mon immortalité, moi qui un vingt-trois février ai fabriqué pour toi cet oiseau de papier qui continue de voler dans nos mémoires , qui volera sans fin, moi qui ai trouvé sur la plage ce bout de métal que personne n’avait vu, qui n’attendait que moi, ce bout de métal qui ne m’a jamais plus quitté comme ne m’a pas quitté ce coup de bec du coq blanc dans mon mollet d’enfant, coup de bec qui cependant n’apporta pas le terrible tétanos, ni ne m’a quitté le billet de 500 lires trouvé près de la fontaine de Trevi, ce billet qui portait un message d’amour, tout cela pour moi, pour moi seul et pour aucun autre, alors… alors je sens, je sens encore, et de plus en plus fort, tous ces signes de ma persistance pour toujours, de mon immortalité car, je vous le dis, il est impossible que tant de choses, tellement belles et tellement uniques qu’elles ne sauront jamais mourir, ne soient pas l’annonce de ma perpétuation, les bras étendus au-dessus de vous, tel un Corcovado protecteur. Oui, immortel, je le suis et je le sais !
Hernano, mon père est mort aujourd’hui à 14 h 20 heure de métropole mais je sais qu’il est parmi les immortels, merci.
J’avoue que quand j’ai lu ce texte une première fois je me suis dit que ce brave Hermano a été sans doute été victime du terrible tétanos dont il parle dans son essai ou bien même peut-être, c’est l’actualité, d’un des variants du coronavirus et la fièvre engendrée par l’une ces terribles maladies, a perturbé son esprit. Coïncidence je suis, moi même, atteint du covid rapporté de Madrid (je remercie les trois doses de vaccin et surtout leurs inventeurs).
Car quoi, comment ces torons, ce trois décembre à 8h35, ces deux cuillerées à soupe de poudre Van Houten, ces deux-cent-quarante-trois feuilles de chêne, ce gland si brillant, Martial, Josette, cet oiseau de papier, ce bout de métal pouvaient conduire à l’immortalité ?
Puis brisant la gangue de rationalité qui m’enserre depuis longtemps telle une taupe émergeant de son sombre domaine, j’ai enfin compris où tu voulais nous conduire Hermano. Merci.
Tanagra j’avais commencé à rédiger mon commentaire avant le tien et il dormait au chaud dans mon ordinateur pendant que son rédacteur reprenait quelques forces dans son lit pour lutter contre le virus. Je comprends d’autant ta peine que j’ai perdu mon père et ma mère. Je sais qu’ils seront immortels tant que quelqu’un pensera à eux…
Tanagra, j’avoue que cette résonnance me donne la chair de poule. Je n’ai rien d’un mystique ou d’un médium, et pourtant…
Loki, merci d’avoir compris car moi, je n’ai pas encore fini de comprendre.
« Loki, merci d’avoir compris car moi, je n’ai pas encore fini de comprendre. »
Tu nous étonneras toujours Hermano, tu es l’auteur de cet essai et tu affirmes que tu n’as pas encore fini de comprendre…
Moi qui n’en est que le lecteur j’affirme peut-être un peu légèrement : « j’ai enfin compris… »
Un doute s’est insinué en moi et je me suis demandé qu’est-ce comprendre ?
Je me suis penché sur le dictionnaire pour comprendre ce qu’était « comprendre ».(rire)
Comprendre
·
A la lecture des différentes définitions je m’aperçois que je n’ai pas compris, mais que je n’ai seulement que perçu un sens à cet essai. Il reste à la pauvre taupe que je suis à gravir quelques marches pour accéder à la compréhension…
Ce je ne comprends pas (encore) c’est pourquoi l’algorithme qui est censé tout comprendre a identifié ton essai à deux de mes nouvelles « Dialogues géométriques » et » Question post mortem » ?
Il faudra que j’interroge un jour à ce ce sujet Aurélie Jean la prêtresse des algorithmes…
Puis brisant la gangue de rationalité qui m’enserre depuis longtemps telle une taupe émergeant de son sombre domaine, j’ai enfin compris où tu voulais nous conduire Hermano.(Loki)
Loki, je te félicite pour être parvenu à identifier puis à briser « la gangue de rationalité » dont tu parles. Une ouverture probablement salutaire !
Et si en plus tu y trouves un sens, cela me réjouit même si ce n’est pas forcément celui que j’ai voulu (le sais-je vraiment moi-même ?) et même si ces quelques lignes obscures ne constituent pas les prémices d’un prix Nobel !
Oui, je crois que l’essentiel c’est de lâcher prise pour avoir de bonnes surprises. Ce n’est pas toujours le cas, mais quand un texte est opaque, on peut s’autoriser à … laisser voguer son imagination, à interpréter, à s’approprier ce texte. Cela ne fonctionne pas toujours et j’aurais tout à fait admis que tu diriges mes quelques lignes vers la poubelle ! Mais, encore une fois, je suis heureux que tu aies lâché prise et que finalement tu m’aies adressé ces commentaires.
Je ne sais pas si c’est vraiment pertinent ou nécessaire, mais il me semble que je dois une explication à ton esprit rationnel. Les autres ne sont pas obligés de lire plus loin.
L’autre jour, j’ai regardé sur Internet une interview d’André Breton, le pape du surréalisme, qui parlait des pensées qui nous viennent entre veille et sommeil, sans filtre ou avec moins de filtres, quand on est sur le point de s’endormir ou de se réveiller, et il expliquait que les surréalistes avaient essayé d’explorer et d’utiliser ce no man’s land dans leurs œuvres. On n’est bien sûr pas très loin de certaines démarches psychanalytiques ! Je t’accorde bien sûr que le lecteur n’est pas tenu d’être intéressé par des écrits ou élucubrations qui n’ont de sens que pour l’auteur lui-même, et encore…
Par ailleurs, qui n’a pas fait ce petit fantasme récurrent que font beaucoup de personnes (peut-être lors de ces états entre veille et sommeil) : ne suis-je pas le seul dans l’univers ? tous les autres ne sont-ils pas seulement un décor posé là pour moi ?
Dans la même veine, entre veille et sommeil, je me dis souvent qu’un certain nombre d’évènements s’enchainent depuis l’instant de notre conception – voire bien avant -, qu’à chaque seconde notre existence est soumise à des choix, des aléas, d’improbables bifurcations.
Finalement, une espèce de labyrinthe qui est la trace de notre parcours personnel et qu’il y a ainsi dix puissance dix milliards de parcours personnels singuliers possibles. Peut-être que l’un d’entre eux, peut-être le mien ? peut-être le tien ? est-il celui qui conduit à l’immortalité ?
Et pour cela peut-être aura-t-il fallu porter un habit vert un matin de décembre, boire ce chocolat Van Houten et pas un autre, et trouver ce billet de 500 lires à cette heure précise près de la fontaine de Trevi, etc. etc. etc. ?
Et donc, l’autre matin, comme je pensais à tout cela et à André Breton, j’ai ressenti comme une urgence à écrire quelque chose à ce sujet. J’ai pris mon courage à deux mains pour aller écrire cela, dont j’avoue ne pas être vraiment satisfait ; un peu trop brut de fonderie.
Merci en tout cas de l’avoir considéré comme tu l’as fait.
P.S.
Ce je ne comprends pas (encore) c’est pourquoi l’algorithme qui est censé tout comprendre a identifié ton essai à deux de mes nouvelles “Dialogues géométriques” et ” Question post mortem” ? (Loki)
Pour ce qui concerne « Question post mortem », le lien avec « Immortalité » me semble assez facile.
Quant au lien avec « Dialogues géométriques », je pense que c’est parce que l’algorithme a renoncé à comprendre l’un et l’autre texte ! 🙂
P.P.S. Comprendre…
Je te laisse songer à l’attitude mentale dans les différentes langues :
Comprendre : prendre avec Understand : se tenir dessous Entender : entendre Verstehst du mich?
La précision et l’unicité de mes souvenirs ne sauraient disparaître ! Et puisque j’en suis le seul détenteur comment pourrais-je mourir un jour ? Le rêve d’immortalité trouve des raisons de survivre. Il t’a magnifiquement touché.
Tanagra, je n’ai plus mes parents moi non plus, je pense souvent à eux. Tout récemment j’ai rêvé de mon père, il était là !