Je suis Pô, le petit pot de résine.
Je suis bien en vue dans mon cher musée.
Certains diront “Tu ne sers plus à rien, tu n’as pas de pot”.
Que nenni, ma collecte et ma sauvegarde témoignent bien de l’intérêt que je suscite à travers les siècles.
J’en veux pour preuve la présence ici-même de mon copain le triptyque bleu.
Nous n’avons rien en commun.
Je suis d’un autre âge, il est dit moderne.
Je suis d’usage domestique, il incarne une certaine idée esthétique.
Je suis terne, il est exubérant de couleurs.
Je tiens sur un coin de table, il occupe un mur.
Je suis statique : c’est normal, on ne m’utilise pas ! Lui vibre littéralement par le seul surgissement de ses jaunes et de ses rouges ambrés.
Pourtant nous sommes bien là, tous les deux preuves à notre manière du traditionnel, de l’ancestral, du patrimonial, de ce lien oublié de l’Homme à la Terre, du respect à la valeur, du mortel au divin.
Nous sommes les outils du gemmage, lui la théorie, moi la pratique.
J’aime à croire que chacun à notre tour, nous sommes utiles à la mémoire de cette gestuelle d’un autre temps, de ce savoir-faire si particulier.
Et pour que je vous raconte encore les histoires que nous partageons, la mienne, la sienne, la nôtre, asseyez-vous un jour sous un pin un bel après-midi de juin, avec les arbousiers, les jàugues et la bruyère pour témoins.
Merci Helen, pour ce délicieux petit Pô de résine. Oui, parfois, dans les musées, objets et tableaux conversent. À bien y réfléchir, les oeuvres d’art conversent, les nouvelles s’inspirant des anciennes en les mêlant et en y apportant des éléments nouveaux. Que serait le cubisme sans Cézanne ? Que serait l’impressionnisme sans la touche hardie des peintres de Barbizon pour capter le mouvement des feuilles ? etc.
Alors oui, ce modeste petit pot, usé par le temps et le labeur, est pour notre bonheur, l’inspirateur d’une oeuvre flamboyante et monumentale, à savoir une tapisserie d’Aubusson. Parce que tout modeste qu’il paraisse, il est un symbole fort d’une région, le témoin d’un âge d’or où les arbres pleuraient de riches larmes appelées « gemme », comme leurs homonymes en pierre précieuse.
Ah ! L’odeur de la résine dont on faisait la térébentine…
Et ces vieux pots que je ne trouve plus, ni les grands futs zingués dans lesquels les résiniers les versaient avant de les replacer sur les troncs.
Moi, j’en ai fait un petit spot au plafond de ma cuisine.
Merci Hellen !