Mais qui es-tu donc ? Toi dont le corps se dissimule dans la nuit derrière ces yeux fixes et brillants, brusquement apparus dans la lueur des phares et qui captent dangereusement mon regard. Je ne mettrai pas nos vies en danger, ni la tienne ni la mienne, et mon pied est déjà sur le frein. Qui es-tu donc ? Un chat qui s’est éloigné des habitations des hommes ? Un blaireau en quête de nourriture ? La voiture est maintenant presqu’à l’arrêt et tu es toujours là. Je le sais, toi dont les yeux sont capables de percer la nuit tu es prise dans le faisceau de lumière, tu ne vois plus que l’espace éclairé, restreint, dont tu es tout à coup prisonnière. Ah ! Là je te vois mieux, tu es un renard magnifique, non, allez je te choisis comme renarde. Je veux t’imaginer en chasse, à la recherche de proies destinées à t’emplir d’énergie pour allaiter tes renardeaux et je tremble à l’idée que tu aurais pu passer sous mes roues, à l‘idée qu’ils t’auraient attendue en vain, non seulement privés de nourriture, mais de la chaleur de ta fourrure, de la douceur affectueuse de ta langue. Que tu es belle ! La peur que je lis dans tes yeux me chagrine. Tu ne vois qu’un énorme monstre aux yeux de feu qui te fige dans la terreur, et je ne suis pas certain que la vue de celui qui conduit ce monstre te rassurerait. Mais tu ne me connaîtras pas.
Ça y est tu as aperçu dans le fossé une possibilité de fuite, tu bondis et d’un coup tu disparais, la dernière image sera celle de ta queue longue et bien fournie glissant vite entre les hautes herbes.
Méditant sur ce qui me sépare de toi, furtive apparition du monde sauvage, et revenu à ma normalité je suis maintenant bercé par une douce musique, le moteur ronronne et la route défile.
Merci, amie renarde, pour cet instant d’éblouissement, de vérité nue, merci pour m’avoir rappelé à ton existence et de m’avoir invité dans l’intimité de ton terrier.
« On ne connaît que les choses qu’on apprivoise. »
« Qu’est-ce que signifie « apprivoiser » ? C’est une chose trop oubliée, dit le renard. Ça signifie « créer des liens… ». »
« Apprivoise-moi ! Que faut-il faire ? dit le petit prince. Il faut être très patient, répondit le renard. Tu t’assoiras d’abord un peu loin de moi, comme ça, dans l’herbe. Je te regarderai du coin de l’œil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus. »
Le Petit Prince avait son renard, toi Chamans tu as ta renarde !
Tu as su, à l’image de Saint Exupéry, mettre de l’humanité dans une rencontre entre un animal et une voiture.
Le plus souvent, cette rencontre heureusement rare se termine moins bien ! Par la mort de l’animal ou la destruction du véhicule.
Tu as bien su décrire la rencontre du monde sauvage et l’univers mécanique précédé par cette lumière artificielle incongrue dans le monde de la nuit. Une sorte de rencontre du troisième type…
Cette rencontre qui n’aurait pu être que la simple vision d’un animal dans les faisceaux des phares tu en as fait la communion d’un homme et d’une renarde transformant ainsi la matérialité et la dureté d’un fait en un amour fugitif, mais profond !
Un instantanné, un arrêt sur image en pleine nuit en pleine campagne.
Je lis en retenant mon souffle pour ce face à face surprenant, pour cette intimité furtive si bien évoqués.
Merci Chamans.
Bonsoir Chamans,
J’ai lu ton texte avec énormément d’intérêt et de plaisir. C’est si bien écrit que l’on croit y être …J’aime bien la pensée pour les renardeaux.
Que de questions par rapport à la place de l’humain dans la nature!…
Merci pour ce très beau texte.