Cette nuit, je partirai pour un long voyage,
la question qui me turlupine me le dit
comme un caillou dans ma chaussure.
Je partirai bien avant de jeter aux oiseaux de nuit
les pauvres miettes de mon sommeil.
Je partirai quand j’aurai fait des derniers faisceaux du jour
les nouveaux barreaux de ma fenêtre
et quand les nuages, ces torchons mouillés,
les auront fait briller.
Cette nuit, je partirai pour un long voyage,
sur le chemin entre deux mots, tourne un manège,
je le sens, mon vertige me le dit.
Au lieu de voyager léger,
je mets dans mon sac
le désordre jeté dans les pas sereins du jour
par deux mouettes qui se querellent pour un poisson.
Le temps trouble que j’ajoute brouille la saveur des minutes,
celles qui sont passées avec le goût du pain au sésame.
Sous une averse de reflets et d’échos
qui défie mon univers,
j’amarre la corde qui me lie au volcan.
Cette nuit, je partirai pour un long voyage,
je le sens à la souffrance, même partagée,
car elle reste entière chez celui qui la vit.
Je mets dans mon sac
les verrous du silence écris en lettres grasses,
dans l’espoir qu’elles seront le paratonnerre
des jours zébrés d’éclairs.
Comme mon désir d’être un chaman
ne a pas sa place dans mon sac,
il tourne en rond faute de savoir à quoi s’employer.
Cette nuit, je partirai pour un long voyage,
je le sens, c’est la curiosité
que provoque la porte entrebâillée qui me le dit.
Je mets dans mon sac
la bonne entente entre les objets et la poussière.
J’y mets aussi ma peur d’enfant,
quand le jour de la fête approchait,
quand mon père était pareil à une voie sans issue
où ma mère s’égarait.
Cette peur, je la dissimule
sous l’image d’une cruche éventrée
que ma mémoire rumine sans cesse.
Cette nuit, je partirai pour un long voyage,
j’en suis certain car je n’arrive pas à remplir mon sac.