Paul, et c’est tout. Comme un oiseau qui stoppe son vol et atterrit sur la branche, en souplesse, sans un bruit. Paul, et rien d’autre. Paul. Mais pourquoi, comme pour les autres, ne pas avoir ajouté Eugène, Marie, Victor ou Vincent ? le nom de quelque aïeul, ou d’un parrain, pour m’accompagner, me tenir la main ?
Non. Paul.
Je n’ai jamais posé cette question à ma mère : pourquoi Paul ? Le savait-elle vraiment ? C’était la mode, et débrouille-toi tout seul. Probablement. Et puis, on va pas t’encombrer avec le fardeau de tous tes ancêtres.
Coutume surannée, soyons modernes !
C’est vrai qu’on ne parlait pas de ces choses-là. On ne méditait pas beaucoup. On croyait en Dieu et puis c’est tout. On ne s’introspectait pas encore, on n’avait pas le temps pour ça. On regardait dehors, toujours plus loin, vers l’Ouest, dans le sens des grandes migrations. Pas en dedans, pas dans les entrailles, ça servait à rien. On voulait une machine à laver, un frigidaire, une belle auto, une caravane pour aller dans les gorges du Tarn. Et tout ça, on finissait par l’avoir. Oui, par l’avoir ! Et puis, on en a eu assez d’avoir. Saturés. Alors, on a voulu être. On s’est tortillés sur les sofas, on est allés aux conférences de Jacques Salomé, on a cultivé les arbres généalogiques. Une quête d’être, si pathétique, bien plus infinie que celle d’avoir. Sans fond.
Mais comment “être” avec un seul prénom : Paul ? Un point c’est Paul.
Je vais vous le dire : je passe avec ce court prénom entre les mailles de tous les filets. Rien ne saurait m’arrêter.
Je ne traîne pas le boulet des générations qui – soi-disant – m’auraient constitué, auraient forgé mon identité, comme diraient vos psychiatres.
Paul… Je brille et je rutile ! comme l’oiseau qui atterrit sur la branche, en souplesse, sans un bruit et … “si je ne suis pas moi, qui le sera ?”*
“Like a bird, on the wire, like a drunk in a midnight choir, I have tried, in my way, to be free.“** La la la, La la la.
* Attribué à David Henry Thoreau et/ou Hillel Hazaken
** Leonard Cohen