Longtemps, il s’était couché de bonne heure, mais depuis que la courtisane lui avait promis d’être à lui après cent nuits d’attente, le mandarin avait pris l’habitude de venir s’asseoir là, chaque soir, sous sa fenêtre, pour ne repartir qu’à l’aube.
La première nuit, il ne pensa à rien, sa tête resta vide comme une calebasse.
La deuxième nuit, il ne pensa à rien non plus et cela l’apaisait d’attendre ainsi, avec sérénité, sans impatience.
La troisième nuit, il commença à goûter au désir d’attendre.
La septième nuit il leva la tête et lui vint l’extase de la voie lactée, des galaxies innombrables, des mondes derrière les mondes dans la profondeur du ciel.
La quatorzième nuit, il pensa à toutes les guerres atroces, au sang mêlé à la boue, aux horizons bleus de désespoir.
La vingt-troisième nuit, il pensa à sa mère, qui avait été jeune et belle, elle aussi, comme cette femme qu’il devinait derrière sa fenêtre.
La trente-neuvième nuit, il vit venir les dragons, il vit les monstres sortir de l’ombre, se répandre dans tous les jardins, et il connut la terreur de l’innommable.
La cinquantième nuit, il pensa à sa naissance, aux étoiles qui l’avaient accueilli et à leurs présages.
La cinquante-septième nuit, la conscience lui vint qu’il aimait attendre ainsi, espérer, imaginer cette étreinte tant fantasmée.
La soixante-sixième nuit, il pensa à toutes ses anciennes maîtresses, à la douceur de leur peau et au chant de leur corps.
La soixante-neuvième nuit, la lune était si grande, si belle, qu’il aurait pu la toucher, l’atteindre d’un bond.
La quatre-vingt-deuxième nuit, il pensa à l’enfance, aux jeux innocents, et aussi à ces longues heures où l’on s’ennuie en attendant de grandir.
La quatre-vingt-douzième nuit, il fut visité par les pensées les plus délicieuses et les plus érotiques. Cette femme serait sienne, bientôt.
Comme dans un rite, il continuait de venir là, sous la fenêtre, depuis des semaines. Il aimait méditer ainsi sur son tabouret.
La quatre-vingt dix-neuvième nuit, il se souvint de la promesse de la courtisane, se rappela que l’échéance était si proche maintenant…
La quatre-vingt-dix-neuvième nuit, il sut. La sagesse lui fut accordée.
Il sut que le plaisir est dans l’attente, que le chemin vaut souvent mieux que le but. Une sorte de sagesse tantrique l’avait pénétré jusqu’aux os.
Il ne voulait plus ce qu’il avait voulu, ce qu’il désirait maintenant, c’était seulement désirer et non pas avoir. Avoir serait une fin, un anéantissement de cette pulsion du désir. Cette pulsion du désir qu’il voulait absolument, qu’il voulait par-dessus-tout conserver.
Tranquillement, au petit matin, il prit son tabouret, rentra chez lui et ne revint plus jamais sous cette fenêtre.
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