Lisez ce poème de Paul Éluard et notez sur votre feuille les mots qui vous plaisent :
L’aube impossible
C’est par une nuit comme celle-ci que je me suis privé du langage pour prouver mon amour et que j’ai eu affaire à une sourde.
C’est par une nuit comme celle-ci que j’ai cueilli sur la verdure perpendiculaire des framboises blanches comme du lait, du dessert pour cette amoureuse de mauvaise volonté.
C’est par une nuit comme celle-ci que j’ai régné sur des rois et des reines alignés dans un couloir de craie ! Ils ne devaient leur taille qu’à la perspective et si les premiers étaient gigantesques, les derniers, au loin, étaient si petits que d’avoir un corps visible, ils semblaient taillés à facettes.
C’est par une nuit comme celle-ci que je les ai laissés mourir, ne pouvant leur donner leur ration nécessaire de lumière et de raison.
C’est par une nuit comme celle-ci que, beau joueur, j’ai traîné dans les airs un filet fait de tous mes nerfs. Et quand je le relevais, il n’avait jamais une ombre, jamais un pli. Rien n’était pris. Le vent aigre grinçait des dents, le ciel rongé s’abaissait et quand je suis tombé, avec un corps épouvantable, un corps pesant d’amour, ma tête avait perdu sa raison d’être. C’est par une nuit comme celle-ci que naquit de mon sang une herbe noire redoutable à tous les prisonniers.
L’aube impossible – Paul Éluard