En hommage à la grande artiste bordelaise Rosa Bonheur actuellement en exposition au Musée d’Orsay , voici un jeu d’écriture basé sur les portraits d’animaux.
Nous vous proposons une galerie de portraits de divers artistes, incluant bien sûr Rosa Bonheur ainsi qu’Albrecht Dürer, Théodore Géricault et d’autres talentueux artistes qui se sont penchés sur des animaux familiers.
1/ Choisissez 2 animaux dans la liste ci-dessous.
2/ Comme pour créer un profil sur les réseaux sociaux, donnez à chacun un prénom et des informations sur : leur âge, leur lieu de résidence, leur situation sentimentale, les choses qu’ils aiment, celles qu’ils détestent, des évènements marquants qu’ils ont vécus, … et d’autres choses utiles pour mieux les connaître.
3/ Pour l’un de ces deux animaux, imaginez maintenant qu’il poste un billet sur les réseaux sociaux pour parler de son rapport aux humains, ou pour raconter une scène vécue avec un ou des humains.Choisissez le registre qui vous convient : colère, étonnement, tendresse, ironie, incompréhension, revendication, admiration… la liste n’est pas limitative.
4/ Le deuxième animal que vous avez choisi répond à ce billet. Écrivez cette réponse.
5/ Postez maintenant les profils, le billet du premier animal et la réponse du deuxième dans la boîte de commentaire ci-dessous.
N.B. Quand plusieurs participants à cet atelier auront fait s’exprimer leurs animaux, continuez en répondant à l’un ou à l’autre. Indiquez bien à qui vous répondez, par exemple : “Réponse au cerf de Daisy”ou “Réponse au cerf de Nelson”.
Liste des animaux
Raoule, la poule
3 ans, célibattante
Influenceuse sur Kot-Kot
Épingle d’un bec acéré les défauts des humains qui nous gouvernent
Habite à Talence, quartier de Plume la Poule
Ah, ah, ah, ils peuvent bien se moquer de notre basse-cour comme ils disent. Parce que nous les poules, coqs, dindes, pintades et autres gallinacés ne serions pas capables de tenir une noble cour ? À cause de notre cervelle de piaf ? de nos caquètements, gloussements, piaillements, que sais-je ? parce qu’en leur si beau langage, les hommes appellent « poules » les femmes de mauvaise vie ?
Ah, oui les humains savent forger des mots pour mieux nous enfermer derrière leurs stéréotypes méprisants ! Déjà, leurs ancêtres nous arrachaient les entrailles pour mieux prédire leur avenir, depuis des lustres on fait combattre des coqs pour leur simple plaisir. De nos jours à cette époque industrielle qui passe pour un grand progrès, nous sommes entassés par milliers dans des camps de concentration. De tout temps, les hommes nous ont plumés pour se parer, se mettre bien au chaud avant de nous faire passer à la casserole ! Moi-même j’habite le quartier de Plume le Poule, de sinistre mémoire ! Autrefois, pour payer moins de taxes à l’entrée de Bordeaux, les marchands y plumaient et tuaient leurs volailles avant la barrière d’octroi ! Et pas un seul monument pour commémorer ce massacre !
Peuple gallinacé, réveillez-vous ! Hissez fièrement vos crêtes rouges pour montrer votre colère. La révolution est en marche !
Soyons un peuple fier ! Nous savons mémoriser, apprendre, compter, communiquer grâce à un langage complexe ; nous sommes des guerriers redoutables lorsque nos becs transpercent les serpents !
Dès demain, faisons la grève des œufs en signe de protestation. Sans œufs, et donc sans nous, plus d’omelette, de gâteaux, de quiches, de flancs, de crèmes glacées, de nombreux médicaments et produits de beauté !
Manifestez votre soutien et relayez le mouvement avec le hashtag #Stop_eggs
Sacha le chat, en réponse à Raoule
8 ans, dilettante
Centres d’intérêt : moi et re-moi
Président de la section française de l’AFH (Association Féline Hédoniste)
Ma cocotte, si tu n’as pas mieux que la grève des œufs à proposer, fais attention à ne pas faire durer ton action trop longtemps, vous n’êtes pas les reines du pétrole, tout de même ! Les hommes vont rapidement trouver des substituts à vos œufs. Si vous vous entêtez, vous finirez en poule au pot, coq au vin, pâté et même en bouillon-cube, ce ne sont pas les recettes qui manquent !
Alors ma poulette, si tu ne veux pas être transformée en Kub-Or, je te conseille la stratégie des chats pour amadouer les humains.
Ébouriffez joliment vos plumes, mettez en valeur tous vos types de beauté, ils sont innombrables : poules frisées, huppées, à crête double, plumages unis, herminés, cailloutés, à liserés, queues en faucille, becs orangés, bleutés, jaunes … Organisez des concours de beauté, apprenez à faire des œillades coquines ou attendrissantes. Vous avez un vrai déficit de séduction ! Travaillez votre regard et arrêtez de fixer le monde de vos yeux vides, en dodelinant de la tête. Créez un show télé, des tutos avec un coach en look plutôt que de grimper sur vos ergots, que diable !
Mais parole de chat, ne jouez pas les cruches soumises non plus ! Faites comme nous : après avoir consenti quelques caresses, prenez un air dédaigneux et éloignez-vous fièrement, le port altier et digne. Vous n’en serez que plus désirées et respectées.
Si tu as besoin de conseils, je t’envoie mon 06 en MP (messagerie privée).
Bon courage et comme disent les Québécois « Je te donne un gros bec ! ».
Célina, la vache :
5 ans ; a eu 4 veaux ; vit à la ferme de Sohy ; déteste les colonies de mouches ;
aime la tranquillité ; rêveuse ; un peu mélancolique.
Je suis née ici, à la ferme de Sohy. Ma mère est partie à l’abattoir quand j’avais 2 ans ; je n’ai pas connu mon père ; en ai-je eu un ?
On m’a pris mes petits, très vite après leur naissance. Comme vous voyez, la vie de famille, pour moi, c’est pas top !
Beaucoup d’humains apprécient mon lait et ses dérivés ; les fromages, les crèmes, le beurre, ont un énorme succès commercial dans la région et à l’étranger.
Un grand nombre aussi adorent les steaks, le « filet américain » ou « tartare de bœuf », les « oiseaux sans tête », issus de nos corps mis à mort et dépecés.
L’été dernier, on a mangé du foin de réserve car les prairies étaient brûlées par une chaleur extrême.
L’année précédente, nous sommes restées à l’étable ; les prés étaient inondées tellement il avait plu.
Les fermiers ont une vie dure ; ils sont courageux ; mais moi je ne peux parler à personne de mes problèmes, de mes chagrins, de mes rêves de vache…
Les hommes disent que je ne suis pas très intelligente mais je suis assez lucide pour estimer notre situation triste et injuste.
Je rêve de prés verts, d’herbe fraîche, de journées calmes, en plein air pour brouter, ruminer et rêver…
Oki, le chien.
8ans ; vit à Liège ; déteste les coups ; aime la tranquillité et les caresses.
Oh, Célina, comme je te comprends !
Dans mon enfance, j’ai vécu chez un homme brutal, en ville ; je suis resté chez lui presque un an. Il me donnait peu à manger ; il m’emmenait rarement promener ; quand il revenait de son travail, il me battait ; je ne comprenais pas pourquoi ; je rêvais d’espaces, de grandes balades, de caresses ; j’ai essayé de m’enfuir, mais je n’ai pas réussi.
Un jour, j’ai entendu des discussions, des cris, des engueulades entre lui et des voisins ; il a dû quitter son appartement ; il m’a déposé dans un refuge près de Juprelle. Là Lucie, Martine et Sandro m’ont soigné ; j’ai bien mangé, bien dormi ; Sandro m’emmenait dans des chemins de campagne, me faisait courir ; je recevais des caresses ; ils me parlaient…
J’ai « repris du poil de la bête ».
Un dimanche, une dame est venue au refuge ; elle voulait accueillir un chien. Dès le premier contact, nous nous sommes plu ; elle s’appelle Nicole ; elle m’a adopté ; c’est une maîtresse en or ; nous sommes devenus des amis ; nous habitons dans une grande maison ; je gambade à ma guise dans le jardin ; nous allons nous balader dans les parcs et dans les bois ; j’ai de l’espace, des caresses, de bonnes pâtées, une belle vie de chien.
Je te souhaite de la patience et du courage, Célina ; si Nicole est d’accord, nous te ferons une petite visite, un de ces jours, à la ferme de Sohy ; nous papoterons ; ainsi, tu te sentiras moins seule !
Édouard le lion
Roi des plaines et des forêts
Autrefois appelé doudou sur le Minitel
Attaqué par le poids des ans
Et par ses sujets…
Ô rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie !
N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?
Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers
Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers ?
Mon bras qu’avec respect toute la faune admire,
Mon bras, qui tant de fois a sauvé ces vampires,
Tant de fois affermi mon trône à moi,
Me trahit donc, et ne fait rien pour moi ?
Ô cruel souvenir de ma gloire passée !
Œuvre de tant de jours en un jour effacée !
Moi le Lion, terreur des forêts,
Chargé d’ans, et pleurant maintenant mon antique prouesse,
J’ai été attaqué par mes propres sujets
Devenus forts par ma faiblesse.
Le Cheval Hippolyte m’a donné un coup de pied,
Oki le chien, un coup de dent ; Célina la vache, un coup de corne.
Raoul la poule cette gourgandine a caqué dans mon écuelle
Sacha le chat, le fourbe a osé faire ses griffes sur ma royale toge
Le malheureux Lion, languissant, triste, et morne,
Peut à peine rugir, par l’âge estropié.
Il attend son destin, sans faire aucunes plaintes,
Quand, voyant Célestin le lièvre même à son antre accourir
Et de lui se gausser, alors qu’autrefois il constituait son repas :
Ah ! c’est trop, lui dit-il, je veux bien mourir ;
Même mourir deux fois que de souffrir tes atteintes.
Mascarie, la vache de Babetty
Mascarie, 18 ans, 11 veaux et 3 velles dont 2 fois des jumeaux, tous nourris au sein, a donné en moyenne 5 litres de lait par jour pendant 15 ans, soit une quantité totale de 27375 litres et donc à elle seule 109500 bals de laits d’un quart de litre, 4 fois moins que ses copines esclaves de la traite ! On la trouve dans son champ en moyenne montagne, quelquefois à l’étable et heureusement préservée des méfaits de l’industrie laitière qui épuise ses consœurs. Particulièrement irritée par la façon dont les humains considèrent son espèce et par les préjugés à son egard.
Mes amies, c’est Mascarie qui vous parle ! Assez de ces clichés, assez de ces expressions dévalorisantes à propos de nous, les vaches ! C’est vachement bien, Ah ! la vache ! Les vaches qui regardent passer les trains…, les vaches qui pètent, la vache folle…, et j’en passe.
Notre apparente passivité n’est qu’une grande sagesse, et je vais ici et derechef m’employer à décortiquer tout cela afin de vous apporter un éclairage tout nouveau, mais aussi pour faire accepter nos différences. Sachez-le : la vache est sensible, la vache pense, la vache a des émotions, la vache est surtout philosophe.
Alors, soulevons-nous ! Soulevons nos lourdes hanches, et montrons qui nous sommes : des êtres à part entière qui se refusent à ce tripotage quotidien de leurs mamelles pour le profit de multinationales telles que Lactalis, Nestlé, Danone et autres Elle et Vire.
Déconstruisons cette stupide et fausse image de la vache, ce noble animal trop longtemps dévoué à l’homme et à la femme qui ne lui rendent absolument rien en retour, sauf un certain mépris et un réel asservissement !
Nous pétons, oui ! So what ? Et alors ? Et eux, ils ne pètent pas ? Avec leurs tracteurs ? Leurs avions ? Leurs porte-containers ? Leurs pétroliers de cinq cent mille tonnes ?
Nous sommes folles ? parfois, dit-on… mais cela ne vous rendrait pas folles d’être pelotées comme cela tous les jours sans jamais recevoir un seul baiser !? Je vous le demande ! Oui, je vous le demande ! Quelle ingratitude !
Nous regardons passer les trains : Eh bien, figurez-vous que cela nous détend et nous fait même parfois rêver à d’autres horizons, à des escapades hors de nos prés carrés, à de grandes évasions.
Les humains, m’a-t-on dit, gobent bien des heures d’images télévisées sans intérêt et finissent même par s’y endormir. Alors, nous plaidons l’innocence pour ce petit passe-temps sans conséquences et qui ne nuit à personne !
Et pour demain, dès demain :
Clifford Simak a écrit son “Demain, les chiens” qui ouvre grand une fenêtre sur une autre perspective du monde animal, George Orwell “La ferme des animaux” où les cochons règnent en maîtres, et je en vous parle même pas de “La planète des singes” !
Mais quoi sur les vaches !? Rien ! Rien de rien ! À nous donc d’assurer notre promotion et d’écrire les nouveaux best-sellers : “La planète des vaches“, “Demain les vaches“, et pourquoi pas de tourner bientôt “Tant qu’il y aura des vaches
” !
Vous voyez, vous voyez bien que nous ne sommes pas du tout stupides et inertes comme on voudrait le faire croire ! Ce que nous avons accepté depuis toujours n’était que la manifestation de notre grande sagesse, notre tribut d’abord librement consenti à cette société qui a fini par nous asservir.
Mesdames, Messieurs les humains, je vous le dis : C’est fini !
Et n’allez pas me mettre davantage en colère, ça me fait tourner le lait !
César, le Chien de Rosa Bonheur en réponse à Mascarie, la vache de Babetty
César, 9 ans, adoré par ses maîtres, et qui adore en retour les faire jouer au bâton. Bien conscient et très fier de son statut particulier d’animal “favori”. Se plie aux usages pour mieux en profiter.
Meuh… qu’est-ce que j’entends ? Te voilà bien remontée comme un réveil, ma Mascarie !
Tu sais, moi qui fais partie de l’aristocratie des espèces animales, moi qui suis le meilleur ami de l’homme, je peux te dire que les oreilles m’en tombent ! Tu peux d’ailleurs t’en rendre compte sur ce portrait que je t’adresse ci-dessus.
Oui, les chiens ont acquis depuis longtemps leurs lettres de noblesse et ils ont su asseoir leur place dans la société en assumant de vrais rôles sociaux : chiens de combat, chiens messagers, chiens d’aveugle, chiens bergers que tu connais probablement, chiens …
Mais peut-on imaginer une vache d’aveugle ? A-t-on vu des vaches savantes dans les cirques ? Et depuis quand les vaches elles-mêmes se seraient-elles mises à garder les moutons ?
Alors, chère Mascarie, chacun à sa place et sachons garder notre rang. Même si une belle vache comme toi peut avoir du chien, tu es vache et vache tu resteras, quoiqu’en proclame ce mouvement de libération, ce MLV que tu viens de créer.
Tu sais, il ne suffit pas de se révolter comme cela, il ne suffit pas de vouloir pour pouvoir et la sagesse populaire ne dit-elle pas “Chacun son métier et les vaches seront bien gardées” ? Tu es une vache et ton métier c’est d’être une vache, tu ne pourras pas échapper à cela et tu as plutôt intérêt à développer des stratégies pour utiliser au mieux ta nature de vache.
On a déjà pu constater, et tellement souvent, qu’il ne sert à rien de chasser son naturel : il revient au galop comme dit ma vieille copine Gélinotte, la jument de course.
Et prend bien garde à ce que tu demandes, fais attention, et songe que l’esclavage n’a pas que des désagréments. En conquérant ta liberté, tu cours aussi des risques. Il est des stratégies bien plus avantageuses. Regarde-nous : nous, les chiens, nous savons feindre la parfaite soumission, mais ce n’est que pour recevoir une caresse, nous savons feindre la dépendance alors que nous sommes les véritables maîtres, nous savons autant promener l’homme – ou la femme – qu’eux-mêmes nous promènent et nous savons aussi qu’ils s’amusent tellement lorsqu’ils – ou elles – nous jettent un bâton que nous le rapportons aussitôt pour bien forger leur dépendance.
Alors, Mascarie, réfléchis bien à ce que tu viens de nous dire et à ce que je viens de te répondre. Nous pourrons en reparler quand tu voudras.
Dieu nous garde, et si tu n’es pas trop vache, je ne serai pas trop chien.
Loki le vieux marabout (de ficelle)
C’est vraiment jubilatoire tous ces animaux qui parlent !
Chat fait du bien et c’est vachement bien…
Ce poule d’animaux a vraiment de la conversation et moi l’anchien cela me réjouit.
J’attends une intervention du cheval. Mais patience rien ne cerf de courir, il faut partir lapin.
Dommage qu’il n’y est pas la carpe, il serait intéressant de savoir ce qu’elle aurait à nous dire…
Quelle réjouissante galerie de portraits digne d’un Roman de Renart pour réseaux sociaux ! Ils font honneur au pinceau sensible de Rosa Bonheur qui savait exprimer avec tellement de justesse la psychologie de ses modèles animaux. Merci à ces “pas si bêtes”, par ordre d’apparition: Raoule la célibattante, Sacha le dilettante, Dame Célina la résiliente, Oki le père tranquille consolateur, Noble Édouard digne dans l’adversité, Mascarie, franche du collier qui fait son #MeuhToo, César le stratège flegmatique qui a du chien et Loki le Marabout qui fait le lien (de ficelle).
En prime, un portrait de carpe, si quelqu’un veut lui donner la parole avant qu’elle ne rende le dernier souffle…
Fraisade
Vache, 8 ans, mère célibataire, 6 veaux dont un à charge. Paisible et pacifique à condition qu’on ne cherche pas des crosses à mes enfants. Ne déteste pas une petite saillie de temps en temps.
Quelques mots sur ma vie :
Mon destin est d’être mère, à l’adolescence mes petits sont emmenés je ne sais où mais je ne les revois plus. Ce n’est même pas un moment difficile car quand on me les enlève ils ont déjà pris leur autonomie, je ne leur suis plus d’aucune utilité. Pour moi l’essentiel est de les avoir près de moi pendant leur enfance, pendant le temps de l’allaitement, c’est le sens de ma vie. C’est un long moment de bonheur. J’aime quand leur langue râpeuse glisse et fait pression sur mes tétines, quand ils se blottissent contre moi aux moments de repos, quand je lèche maternellement leur pelage, quand je les regarde courir et jouer, se donner des coups de cornes qu’ils n’ont pas encore avec leurs demi-frères, oui car il semble bien qu’ils aient tous le même père. Au fond je suis une vache chanceuse, presque privilégiée si je compare ma vie à celle de mes cousines élevées en batterie, où à celles dont les humains interrompent la tétée de leur veau pour récolter le lait, pas toujours drôle d’être une vache. Moi je vis au grand air sur d’immenses espaces où l’herbe est abondante. De temps à autre l’éleveur, c’est comme ça qu’on l’appelle alors que ce n’est pas lui mais nous qui élevons nos petits jusqu’à ce qu’il nous les prenne, vient vérifier si tout va bien, si personne n’est blessé ou malade, c’est lui qui m’a donné mon nom et il me connaît, quand il m’appelle j’y vais.
J’allais oublier de vous dire : Les mouches me gâchent la vie.
Ketty, chienne, 3 ans, deux enfants que j’ai perdu de vue, je passe ma vie aux côtés de mon maître, éleveur de bovins. Je cultive l’aboiement et les courses sur les chemins et dans les prés.
Fraisade nous nous connaissons, nous vivons dans les mêmes espaces tout en étant ailleurs. Moi je suis dressé pour te rabattre. Cela ne se produit pas très souvent, c’est surtout à la fin de l’été quand il s’agit d’embarquer le troupeau dans des camions à bestiaux pour le retour à la ferme. Avant, la transhumance c’était de longues marches à pied et nous, les chiens, avions beaucoup à faire pour vous maintenir dans les drailles, mais aujourd’hui une fois que vous êtes montées dans ces gros véhicules il ne nous reste plus qu’à vous dire au revoir jusqu’au mois de mai prochain, jusqu’à la future estive.
C’est un moment que je ne t’envie pas, passer des heures dans ces cages métalliques mobiles, debout, ballotées en tous sens dans les tournants si nombreux dans notre région, malades jusqu’au vomissement. Je te présenterais bien mes excuses pour ces petits coups de dents sur tes jarrets quand tu refuses d’y monter, mais je n’en vois pas la nécessité, c’est mon boulot de chien et ce n’est pas moi qui l’ai défini.
Je suis une chienne heureuse et les vaches ont interêt à filer droit.
Zanzibar, cheval, 5 ans. Beau, fier, le pelage luisant, la crinière en drapeau, je ne compte plus mes enfants que par ailleurs je ne vois jamais, imbattable à la vitesse dans tout le canton.
Non mais sans dec vous me faites bien marrer tous les deux. Toi la Fraisage je te vois de loin dans ta devèze, sans courir jamais, tu restes là, avachie, tiens parlons en : les mots achevali ou ajumenti n’existent pas chez les humains, avec ta lente nonchalance tu as même enrichi leur vocabulaire. A quoi te sert d’avoir tant d’espace ! Quant à toi le clébard vient donc un peu essayer de me titiller les jarrets et je t’expédie par dessus la clôture. Ami de l’homme ? Sais-tu que moi aussi je prétends au titre ? Avec des services essentiels dont certains, je te l’accorde, sont un peu tombés en désuétude. J’ai mes propres contraintes et mes tâches assignées (pas toutes désagréables) mais point trop n’en faut et je ne lui lèche pas les bottes, je laisse les autres animaux tranquilles et je ne mords personne. Et cette façon d’exhiber vos devoirs, et moi je suis une bonne mère, et moi un fidèle rabatteur, non mais vous vous entendez ? Un peu de dignité tout de même ! Allez je vous laisse, je vais faire dix fois le tour de mon pré en courant, hennissant, bondissant, un étalon doit toujours être au mieux de sa forme.
Blanquette
Canis Lupus
Ah! qu’elle était jolie la petite chèvre de M. Seguin! Qu’elle était jolie avec ses yeux doux, sa barbiche de sous-officier, ses sabots noirs et luisants, ses cornes zébrées et ses longs poils blancs qui lui faisaient une houppelande!
Mais elle n’avait qu’une idée s’enfuir dans la forêt.
Cette idée lui était venue depuis qu’un coquin se faisant appeler Lupus, de son vrai nom Canis Lupus, lui avait murmuré une nuit derrière la barrière.
– Petite beauté qu’attends -tu pour sauter ton enclos et me rejoindre dans la montagne ?
Il avait ajouté d’un air égrillard : je te ferai aller au septième ciel !
Blanquette n’avait aucune idée de qu’était le septième ciel.
Elle alla se confier à Noiraude une chèvre plus âgée.
Noiraude fut outrée de la proposition de Lupus d’autant qu’elle animait un mouvement chévrophile dont les membres voyaient dans chaque bouc un être infréquentable, un violeur potentiel.
Noiraude avait converti une majorité des chèvres à ses idées anti-bouc.
Ce qui fait que ce pauvre monsieur Seguin était désespéré et ne savait pas à quel saint se vouer. La plupart de ses chèvres fuyaient le bouc. Point de bouc, donc point de chevreau et donc point de lait.
Chaque violeur potentiel doit être puni !
Noiraude, justicière dans l’âme, organisa une nuit l’évasion de Blanquette.
Tandis que jolie la petite chèvre de M. Seguin trottait fiévreusement dans la montagne, Noiraude qui la suivait à cinquante mètres murmurait dans sa barbichette :
– Lupus, tu vas voir quel septième ciel tu vas te payer, tu vas plutôt passer à la casserole !
Lupus Canis caché dans un bosquet n’en croyait pas ses yeux, une chevrette bien tendre s’avançait avec derrière une autre chèvre plus dure !
Il n’avait eu comme repas depuis une semaine qu’un pauvre mulot égaré.
C’est dire qu’il avait terriblement faim. En temps ordinaire il aurait dédaigné cette vieille chèvre sur le retour.
Il sortit du bois et les deux chèvres ne luttèrent pas longtemps.
À quoi malheur est bon. La noiraude étant passé à trépas, les chèvres de monsieur Seguin découvrirent que fréquenter le bouc avait des bons côtés…
Catila, la carpe.
Je vis dans la Lesse, dans les Ardennes belges.
J’ai 10 ans.
Je mesure 60 centimètres ; je pèse 8 kilos.
J’aime par dessus tout la tranquillité.
– Eh oui, on m’a encore oubliée ! Comme toujours !…
Vous vous demandez pourquoi je ne dis rien ?
Vous vous étonnez de mes silences ?
Comment voulez-vous que je m’exprime avec la vie qu’on nous fait mener ; les eaux de nos rivières sont polluées par les déchets de la vie humaine ; l’homo sapiens nous attire avec des mets appétissants, puis il nous capture avec de longs fils de nylon ; mes cousines vivent en élevages, nourries de plantes et de mollusques ; puis elles garnissent l’assiette des hominidés. Ces derniers nous mangent grillées ; certains nous préfèrent farcies.
Voudriez- vous que je fasse des discours, des tirades de remerciements ?
Eh bien, non, je serre les mâchoires ; je me tais.
Carpe diem !
Je reste muet d’admiration !
Zazie, jeune poule dandy; vit seule en ville
Je vivais à l’abri en lieu clos dans l’appartement d’un couturier connu Karl, qui m’hébergeait sans faire grand cas de moi. J’ai fui de balcon en balcon, me suis retrouvée happée par une main légère: Il cherchait une entrée de métro et me lâchait dans sa sacoche parmi des clés USB, gants de laine, mitaines au sein desquelles je me lovais. Il m’installa chez lui , enfin pas dans sa chambre exigüe jonchée de bombes à graf, de baskets, de revues, mais dans une volière collective sur les toits en terrasse . C’est Montmartre ! J’y partageais non sans mal l’enclos avec des pigeons voyageurs bavards. Quel changement!
De temps en temps mon maitre fait une irruption chaloupée dans un bain de musique hip-hop que j’adore. Voyant l’effet produit sur moi par ces sons, il m’apprit le break en dandinant ma huppe soyeuse et mes pattes plumées…délire! Je pose alors sur lui mon regard sombre et secret, il craque….nous partageons souvent de tels moments. Je n’aime pas lorsqu’il referme la porte et me quitte, lui non plus! Parfois la nuit il me cale dans son sac entre les peintures et nous partons ensemble graffer terrasses et haut de murs …
Je suis le Cerf de Rosa bonheur; après une adolescence boisée furtive et collective j’aborde ma vie d’adulte
Oh là, tu me souffles!!
Moi qui n’ai vécu qu’en harde dans les taillis et les forêts claires, je n’ai expérimenté ni l’habitat urbain ni la proximité humaine sereine.
Je suis subjugué par le lien qui existe entre toi et ton logeur. Une telle pratique m’est inconnue. Certains humains ne hantent pas les forêts….mystère…..D’autres passent leur temps à peindre, lire. Ton protégé t’initie à la danse plumée…..comment est ce possible?
J’apprécie mes congénères, les clairs de lune et la vie forestière. Tu dois également contempler le croissant d’or des nuits de ta terrasse
. Cependant tu demeures à l’écart des randonneurs blabla, des chasseurs armés, des chiens à la poursuite d’odeurs alléchantes.
Je me souviens d’une course impromptue au hasard d’un sous-bois de fougères . Un chien bondissant m’a chassé. Ma connaissance du lieu a eu raison de son acharnement à mon égard.
Actuellement j’aborde l’orée du bois prêt à m’engager sur un airial habité par un couple paisible. Peut-être cette rencontre va t-elle changer ma vie?
A l’occasion, aventure-toi de nouveau dans la besace du musicien. Souffle-lui de venir laisser trainer ses oreilles par un beau clair de lune auprès de la clairière où je coule mes nuits…