Les phrases d’accroche et celles de chute sont très importantes dans un roman, elles contribuent à façonner l’intrigue. On les appelle respectivement incipit et explicit. Certaines sont célèbres : « Longtemps je me suis couché de bonne heure » (Du côté de chez Swan / Marcel Proust) ou « Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. » L’étranger / Albert Camus).
Nous vous proposons aujourd’hui de choisir un couple incipit et explicit dans la liste ci-dessous.
Écrivez ensuite une histoire commençant par l’incipit, puis finissant par l’explicit. Votre texte peut avoir la longueur que vous voulez, mais pensez à introduire votre ou vos personnages, leur objectif (ou quête, préoccupation…), des péripéties.
Puis trouvez un titre à votre œuvre.
Vous pouvez même imaginer une 4ème de couverture, synthétisant votre intrigue sans dévoiler la chute, afin de donner envie au lecteur de se plonger dans votre roman !
Vous pourrez enfin découvrir le titre et l’auteur des couples incipit/explicit en cliquant sur un lien en bas de cette consigne.
Voici la liste, incipit et explicit sont séparés par […].
C’est à vous !
1 / Perché à une vingtaine de mètres de hauteur, Paul, dans la cabine de l’immense et jaune Kranban Eberswalde, décapsula une Stella. […]
Trois minutes après, il aperçut sa blonde et ce fut comme si le monde
reprenait des couleurs. Chéryl se jeta dans ses bras en se mettant illico à pleurer.
— Gabriel, si tu savais…
— Je sais.
— Tous les hommes sont des salauds…
— Sauf moi, mon amour.
2/ Au commencement il n’y avait rien. […]
Ensuite, il ne s’est plus rien passé.
3/ Un jour, j’étais âgée déjà, dans le hall d’un lieu public, un homme est venu vers moi. Il s’est fait connaître et il m’a dit : « Je vous connais depuis toujours ». […]
Il lui avait dit que c’était comme avant, qu’il l’aimait encore, qu’il ne pourrait jamais cesser de l’aimer, qu’il l’aimerait jusqu’à sa mort.
4/ Ce printemps-là nous avons eu une liaison chacun de notre côté, mais en juin, au début des vacances scolaires, nous décidâmes de louer notre maison… […]
Ensuite j’entrai dans la maison et, sans même prendre le temps de retirer mon manteau, je décrochai le téléphone et composai le numéro de Susan.
5/ C’était inévitable : l’odeur des amandes amères lui rappelait toujours le destin des amours contrariées. […]
Il connaissait la réponse depuis cinquante-trois ans, sept mois, onze jours et onze nuits.
« Toute la vie », dit-il.
Après avoir écrit votre texte, découvrez ici la clé des incipits et des explicits
Un jour, j’étais âgée déjà, dans le hall d’un lieu public, un homme est venu vers moi. Il s’est fait connaître et il m’a dit : « Je vous connais depuis toujours ».
Il y avait beaucoup de monde autour de nous et les voix résonnaient fortement dans ce hall de la Gare de Milan, créant un véritable brouhaha. D’abord interloquée, je fis mine d’avoir mal entendu pour obliger l’homme à répéter.
– Je m’appelle Alfonso et je vous connais depuis toujours.
En cinquante-quatre ans de vie, je n’avais jamais connu un seul Alfonso. J’hésitais entre le dragueur italien hardi et le vendeur à la sauvette qui veut vous intriguer. Quelqu’un qui veut capter votre attention et ainsi s’autoriser à aller plus loin. J’avais le temps, mon train ne partait que dans une heure et, entourée par autant de monde, je ne risquais rien. Je décidai donc de me livrer à son jeu.
– Vous me connaissez depuis toujours ?
– Depuis toujours, oui. Je vous suis depuis tout à l’heure et je vous ai reconnue. Est-ce que vous n’habitiez pas le quartier du Girasol ?
Mais comment cet homme pouvait-il savoir que j’avais habité le Girasol, près de quarante années plus tôt ? Et comment pourrais-je reconnaître une personne de ce quartier après autant de temps ? Il paraissait à peine plus jeune que moi. Très brun et le teint mat, il avait un sourire un peu énigmatique et portait une fine moustache un peu démodée, à la Clark Gable, mais cela lui donnait un genre particulier et finalement assez séduisant.
– Non, oui, enfin je veux dire que oui, j’ai habité le Girasol mais je ne vous remets pas.
– Vous aviez entre quinze et vingt ans, ensuite vous avez déménagé pour partir et je n’ai jamais su où. Je n’étais qu’un gamin, j’avais dix ou douze ans quand toute votre famille est arrivée dans notre rue, vous veniez de Tunisie.
Cet homme avait raison, nous arrivions de Tunisie avec mes parents et mes deux frères ; je ne le reconnaissais vraiment pas mais cela me paraissait normal, après tant d’années.
– Vous habitiez du côté des numéros impairs, au deuxième étage et nous, on était en face au troisième. Je dois vous dire que vous ne m’avez jamais regardé, vous préfériez ce Jules et je le voyais vous tenir par la taille dans le parc d’à côté, mais jamais jusque devant chez vos parents. Vous ne me regardiez jamais, moi le petit noiraud de douze ans sur sa bicyclette hors d’âge qui avait au moins connu trois générations, mais moi je n’avais d’yeux que pour vous. Je vous aimais comme on aime à douze ans. De ma fenêtre je vous épiais et je vous trouvais si belle, si légère, avec cette démarche de reine que vous n’avez pas perdue et ce sourire à faire fondre… … Aujourd’hui je vous retrouve, je vous ai reconnue et, pardonnez-moi, mais c’est la même émotion… je crains bien d’être encore amoureux, alors il faut que je vous le dise… il vous faut le savoir… J’espère que vous m’entendrez et vous ne m’en tiendrez pas rigueur…
Je restais émue, sans voix, et je ne pouvais m’empêcher de penser aux dernières lignes de “L’amant” de Marguerite Duras :
“Il lui avait dit que c’était comme avant, qu’il l’aimait encore, qu’il ne pourrait jamais cesser de l’aimer, qu’il l’aimerait jusqu’à sa mort.“
Ce printemps-là nous avions eu une liaison chacun de notre côté, mais en juin au début des vacances scolaires, nous décidâmes de louer la maison.
En effet, j’avais reçu un engagement pour donner une série de conférences sur l’intelligence artificielle dans le Sud de la France. Mon expérience dans la Silicon Valley et mes livres m’ouvraient les portes des clubs de dirigeants et des think-tanks du monde entier.
Nous partîmes donc pour Nice. Pendant que j’écumai les Palais des Congrès, les salles de séminaire du Negresco, du Martinez et d’autres hôtels prestigieux de la région, ma chère épouse exhibait sa superbe plastique au bord des plages ou des piscines de luxe. Le soir, un verre de cocktail à la main, ses formes parfaites mises en valeur par des robes audacieuses attiraient les regards des mâles. S’ils avaient su qu’elle n’aimait pas les hommes !
Lorsque mes activités me laissaient quelques loisirs, nous écumions les casinos. Les regards de nos partenaires de jeu se perdaient dans les décolletés vertigineux de ma compagne. S’ils avaient su son incroyable mémoire et ses prodigieuses facultés de calcul, ils n’auraient sûrement pas joué au Black Jack avec nous !
C’est ainsi que nous rencontrâmes Olga et Piotr, un couple d’entrepreneurs russes qui avait fait fortune dans l’élevage de cochons et autres activités moins avouables. Éloignés des cercles du pouvoir, ils avaient placé leurs affaires en gérance et prudemment pris le large. Ils écumaient maintenant casinos et établissements de luxe des rivieras française et italienne. Olga exhibait ses rivières de diamants et autres cailloux précieux en toute quiétude dans les vieilles ruelles du Rocher. Nous nous liâmes avec ce couple sympathique et partagèrent quelques vodkas au long de soirées allongées jusqu’à l’aube. Lorsqu’ils durent partir vers la Bulgarie, où les attendaient d’autres plages idylliques, nous leur offrîmes, à défaut de diamant, une bague en cristal Swarovski et un stylo Montblanc. Nous nous séparâmes avec moultes effusions, en nous promettant de rester en contact.
À peine nous étions nous quittés qu’une bande de voyous s’attaqua à eux. Nous les avions trouvés suspects et nous réagîmes au quart de tour. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, ils se retrouvèrent au sol, le nez cassé ou la mâchoire brisée. S’ils avaient su que ma femme était championne de Krav Maga !
Après trois mois de pérégrinations, nous rejoignîmes notre maison bleue à San Francisco. Il était temps ! Ces soi-disant vacances dorées étaient éprouvantes pour les nerfs. Si la CIA avait su que des algorithmes confidentiels avaient voyagé dans la bague et le stylo de Piotr et Olga ! Maintenant ma femme et moi nous relaxions main dans la main dans l’avion du retour. Depuis vingt ans que les services secrets russes avaient formé notre couple,nous étions une équipe efficace, insoupçonnable et unie. Je m’endormis en rêvant à Susan, l’amour de ma vie.
En sortant du taxi qui nous ramenait chez nous, je pris connaissance du message crypté m’enjoignant d’appeler immédiatement notre notre agent de liaison.
Ensuite, j’entrai dans la maison et sans même prendre le temps d’enlever mon manteau, je décrochai le téléphone et composai le numéro de Susan.
Ce printemps-là nous avons eu une liaison chacun de notre côté, mais en juin, au début des vacances scolaires, nous décidâmes de louer notre maison.
Susan s’était entichée d’un de ses compatriotes de Philadelphie, de passage dans la région pour des raisons professionnelles. Besoin sans doute de renouer avec son passé, avec son ancien-nouveau monde qui lui faisait parfois cruellement défaut, l’exil n’est pas toujours chose facile. Elle avait eu l’honnêteté de m’en informer et se voulut rassurante en déclarant qu’elle m’aimait toujours et que cette brèche dans notre relation jusque là sans nuage serait de courte durée.
J’ai fait amende honorable en refoulant les mots définitifs que je réussis in extrémis à ne pas prononcer. Désespéré et plongé dans la solitude de cette grande maison où tout me rappelait notre merveilleuse idylle, je tentais sans succès de me raisonner et ne parvenais nullement à me persuader de sa sincérité. Lorsqu’un soir le téléphone sonna, je me précipitai dans l’espoir fou d’entendre la voix de Suzan implorer mon pardon et m’annoncer son retour. Ce ne fut pas la voix tant attendue mais celle de Lydia, un ancien flirt de jeunesse, qui passant dans le coin me fit part de son désir de retrouvailles, à moins bien sûr que tu ne sois pas disponible, ajouta-t-elle. Voilà que tout à coup je pénétrai dans une sorte de bulle, à l’extérieur, mais instantanément oubliées, les souffrances d’un amour que je croyais brisé, à l’intérieur le souvenir de l’intense vibration des émois de l’adolescence. C’est ainsi que Lydia me fit oublier mon chagrin. Nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre et après de furieux baisers nous avons parcouru le chemin sur lequel nous nous étions arrêtés à la fois par timidité, par peur de franchir le pas et poussés par les circonstances de la vie qui nous ont éloignés l’un de l’autre. Je révélais cette liaison à Suzan, mais je sais aujourd’hui que sous le prétexte de la loyauté se dissimulait un inavouable désir de vengeance. La fine peau de la bulle était ténue et elle finit évidemment par éclater. Je me rendis vite compte avec Lydia que le passé ne se ressuscite pas. J’étais donc à nouveau seul dans la grande maison. Un matin je reconnus le moteur de la voiture de Suzan s’arrêtant devant la porte, quand je l’ouvris elle se tenait déjà sur le seuil, son maigre bagage à la main. Mon américain est reparti, il était temps, et elle tomba dans mes bras qui l’enlacèrent sans aucune retenue. Nous étions fin mai. S’ensuivirent des jours heureux, comme si ces infidélités passagères avaient aiguillonné notre amour.
Nous n’étions pas très riches et la décision de louer la maison pour l’été nous est venue naturellement avec l’idée d’un grand voyage. Suzan brûlait de revenir dans son pays et nous nous décidâmes très rapidement pour les Etats unis, et plus particulièrement la petite ville de Lancaster en Pennsylvanie, où elle était née. Nous y avons été chaleureusement accueillis par sa famille, sport, canyoning, excursions diverses, ce fut un voyage de rêve. Mais la date du retour s’approchait vite et la veille du départ Suzan me fit part de sa décision de rester pour démêler une affaire familiale qui venait de se révéler et qui selon elle imposait sa présence, elle me rejoindrais plus tard.
Le vol de retour fut marqué par de nombreuses et violentes turbulences, il se termina par un atterrissage chaotique à Paris-Charles de Gaulle accueilli par les applaudissements des passagers, qui en cette circonstance n’avaient rien d’automatique et marquaient au contraire une reconnaissance sincère.
Parmi une foule de passagers je rejoignis le parking et je couvris les quelques six cents kilomètres sans rien voir du paysage, avec l’idée obsessive de ne plus revoir celle à qui je tenais tant. Pourtant dans son dernier baiser j’avais perçu un amour sincère et un réel regret de devoir rester, mais je ne pouvais chasser la pensée que Lancaster n’est qu’à une heure de route de Philadelphie. Quand la raison reprenait le dessus je me persuadais de ne pas laisser éclore ce germe destructeur de jalousie. Je garai ma voiture à côté de la sienne.
Ensuite j’entrai dans la maison et, sans même prendre le temps de retirer mon manteau, je décrochai le téléphone et composai le numéro de Susan.
Au commencement il n’y avait rien. […]
Ce vendredi était un jour banal comme tous les autres. Seul, parmi tous les autres voyageurs, j’attendais le RER B. Bien que je l’empruntasse, tous les jours, pour aller à mon travail, aucune des têtes ne m’était familière ; c’est vraiment dans la foule que l’on est le plus seul !
Contrairement aux autres voyageurs, qui ne cessaient de manipuler leur téléphone, j’avais l’habitude d’observer les visages de mes voisins.
C’est vraiment extraordinaire, aucun des visages n’était semblable à un autre ! Je m’amusais à imaginer quel pouvait être le métier de chacun d’eux. Toutes ces vies uniques, et qui se qui se côtoyaient, indifférentes, c’était vraiment passionnant.
Allez savoir pourquoi, mais ce vendredi, je fis autre chose que d’examiner mes voisins ?
Une mystérieuse alchimie démarra dans ma tête !
Ce jour-là, nous étions le sept du mois !
Je comptais les voyageurs de mon wagon. J’ai toujours aimé compter. Ces jours-là il y en avait 77. Rêveur, j’ouvris mon livre, je m’étais arrêté à la page 77 !
Cela ne pouvait être une coïncidence, d’autant que le RER démarra à 7h07…
Quand j’arrivais à Paris, il n’y avait plus aucun doute dans mon esprit. Le nombre 7 n’était pas arrivé par hasard dans ma vie, c’était un signe du ciel.
Le soir j’eus beaucoup de mal à m’endormir, je pensais sans arrêt, la nuit à ce nombre 7.
J’ai l’habitude de jouer aux courses, et malgré des gains rares et peu élevés, je continuais, imperturbable à parier deux fois par semaine avec l’espoir de toucher un gain important.
Le jour était arrivé, et je devais absolument tenir compte de ce signe important du ciel par le chiffre 7.
Consultant Internet, je m’aperçus que ce samedi à Longchamp, un des chevaux avait toutes ses chances dans la septième course ! Justement il portait le numéro 7.
Le doute n’était pas permis, ce cheval qui portait le joli nom d’Imperator était
la chance de ma vie. Sans aucune hésitation, je fis sur Imperator, une mise 3000 €.
À 17 h j’étais devant mon ordinateur.
La course démarra, j’étais aux anges, le numéro 7 avait pris d’emblée la tête. Il y demeura longtemps. La fortune était toute proche !
Puis au fur et à mesure que le temps s’écoulait, le 7 était dépassé par d’autres concurrents. Je hurlais devant l’écran, mais rien n’y faisait, Imperator ne remontait pas. C’est le numéro 3 qui franchit, en premier, la ligne d’arrivée.
Le numéro 7 était 7e !
Toutes mes économies s’étaient envolées …
[…] Ensuite, il ne s’est plus rien passé.
Au commencement il n’y avait rien de remarquable dans cette grande pelouse entourée de sentiers vallonnés.
C’était une belle soirée d’été ; l’herbe était un peu jaunie; les oiseaux piaillaient ; quelques passants se promenaient aux alentours.
Théo arriva le premier ; il avait invité des amis à le rejoindre dans cette jolie partie de la forêt ; il déposa son sac à dos rempli de bouteilles et s’assit sur un tronc d’arbre abattu. Comme chaque été, il désirait réunir ses amis pour fêter son anniversaire.
Aline, une de ses vieilles amies, arriva par un petit sentier latéral.
Puis arrivèrent les deux fils de Théo, leurs compagnes et un petit garçon de deux ans, Mick, son petit-fils.
Les bavardages commencèrent doucement et allèrent crescendo ; ils étaient heureux de se revoir et de se détendre ; Aline allait de l’un à l’autre, prenait des nouvelles, papotait gaiement ; elle avait apporté des petits gâteaux ; le petit Mick gambadait au milieu du cercle d’amis.
Les conversations allaient bon train ; le vin coulait à flot ; les gâteaux, les galettes et les chocolats circulaient ; un peu plus tard,un homme arriva ; il avait les cheveux assez longs, le teint basané, un sourire bienveillant ; on apprit que c’était un voisin de Théo ; il s’appelait Pedro ; à part un des fils de Théo, personne ne le connaissait.
L’arrivée de Pedro impressionna Aline ; elle reçut une secousse, comme si un courant électrique avait traversé sa tête et son corps. Le connaissait-elle ? L’avait-elle déjà rencontré ? Ressemblait-il à quelqu’un ?
L’homme fit le tour du cercle et salua les invités d’un « bonjour ! » ou d’un « salut ! » Pour Théo, ce fut une joyeuse accolade.
La soirée continua en chansons, en causettes, en rires ; tous trinquèrent et picolèrent à la santé de l’organisateur de la soirée.
Pedro proposa à Aline de faire un bout de chemin ensemble ; elle était émue par cet homme ; lui s’intéressait à elle ; en conversant, ils s’étaient rendu compte qu’ils avaient des goûts communs : ils aimaient balader, observer les arbres, les plantes, les animaux…
Ils prirent de petits chemins, firent plus ample connaissance, se prirent dans les bras,se reposèrent. Ils fabriquèrent une couchette avec des branches et des feuilles. La lune éclairait les alentours, des étoiles scintillaient ; ils entendirent des hululements de chouettes.
Ils se couvrirent de caresses et de baisers, s’enlacèrent, s’unirent et dormirent un peu.
Au lever du jour, les magnifiques couleurs du ciel les éblouit.
L’air était frais ; ils repartirent vers une sortie de la forêt ; ils décidèrent de se séparer, de rentrer chacun chez soi.
Ensuite,il ne s’est plus rien passé.
Eh bien, cet exercice vous a inspirés ! Merci pour toutes ces histoires fort bien menées qui nous transportent dans des univers riches et diversifiés. Il est particulièrement amusant et réjouissant de mettre en parallèle les constructions élaborées à partir des mêmes couples incipit/explicit ! Que de registres ! Amour fidèle, espionnage, hasard et mathématiques, amour blessé, amour léger… Merci !!!
Et un grand merci à toi, Line, pour avoir préparé ce jeu d’écriture !
Hello. Après m’être plongé dans vos textes – bravo à vous – je vous propose le mien.
Au commencement il n’y a rien. […]
Ensuite, il ne s’est plus rien passé.
En réalité, cet incipit/excipit m’a fait penser à une histoire que j’ai déjà imaginée et contée lors d’une session slam, il y a un certain temps. Cette phrase de début et cette phrase de fin m’ont semblé opportunes pour mettre enfin cette histoire par écrit, dans une version la plus aboutie possible.
Avertissements :
Cette histoire est un peu longue, environ 10 000 caractères.
Cette histoire n’est sans doute pas adaptée aux personnes sensibles ou traversant actuellement une mauvaise passe. Pour faire court, elle parle de l’enfer, ou disons qu’elle parle d’un monde sur le point de devenir l’enfer.
Je ressens les choses ainsi : parfois certaines expériences de pensée, aussi terribles soient-elles, peuvent nous permettre de relativiser certaines souffrances de la vie. Imaginer le pire pour voir autrement le meilleur. J’aime aussi rêver de mondes imaginaires lointains. C’est un peu avec ce ressenti et dans cette optique que j’ai écrit cette nouvelle.
Vive la vie. Tout ce qu’elle nous apporte. Soyons-en les relais.
Et bon bah, bonne lecture !
Tom Astral
Ce que nous avons fait de Negaci
Au commencement il n’y avait rien. Et ce rien était une bénédiction.
Ensuite advint le noir, et ce noir était encore acceptable.
Et puis un univers est né. Le nôtre. Celui que nous avons nommé Negaci.
Pourquoi y a-t-il eu quelque chose plutôt que rien ? C’est la question qui allait s’imposer à nous, à un moment fatidique de notre Histoire.
Pourquoi… ce quelque chose… Plutôt que tout ce rien, plutôt que tout ce noir. Plutôt que rien d’autre que le néant.
Je me présente, je suis Fferen, fantôme de la dernière nuit. Le temps d’un témoignage, juste avant de disparaître, à jamais, je me projette aux abords de cette oasis. Ce soir je prends ce qu’il me reste de parole. Je suis venu à vous comme le vent de l’invisible. Je ne brille que d’une faible lueur. Je suis là pour vous parler de Negaci.
Ainsi, il y a longtemps, très longtemps, notre univers, Negaci, est né. Quelque part en son sein, sur une planète âgée de quelques milliards d’années, la Vie est apparue. La Vie a voyagé sur cette planète, par-delà les formes d’agitation organique, et parmi toutes ces formes, toutes ces possibilités, ce fut à notre tour d’apparaître.
Nous, humains de Negaci, nous avons évolué, comme vous, jusqu’à pouvoir accomplir certaines grandes choses. Nous aussi nous avons marché sur notre lune, créé des intelligences artificielles, tutoyé les étoiles.
Nous avons eu nos propres imaginaires. Nos croyances issues des grands mystères et des peurs primordiales. Nos légendes et nos contes jaillis des immémoriaux. Le mythe de l’Homme-source. Plus ancien, celui de la Femme-Forêt. L’histoire des Filles du Dragon. Celle des Fils de la Méduse. L’enfant de la Rivière-en-vol. Moi, Fferen, j’étais maître-scribe consacré d’Am’kora, passeur de savoir des villages de Roche-Vive.
Si nombreuses furent les connaissances acquises au fil des siècles, les découvertes archéologiques, les déductions, si semblables aux vôtres, les cheminements historiques, les lois physiques, les secrets de la matière. Si nombreux furent nos récits créés d’imagination. Les Mille Passions de l’Aurore. L’odyssée d’Eada. Les Chants d’N’Moo. La comptine d’un village englouti par les eaux, rendue innocente par le passage du temps.
Nous avons eu nos grands artistes, leurs productions à travers les âges. Les Jardins Élevés d’Ammlhos. Le Penseur Inquiet, sculpté en l’an quatre avant Diamède. La Dame Éteinte, tableau peint en l’an delta-1119. La Symphonie des Wimodjahs, composée au quatorzième siècle. Le double album « Tenn » des Zenathans, en l’an delta-2004.
Nous avons écrit nos livres. Parmi eux, nos propres classiques, traduits dans presque toutes les langues, nos ouvrages cryptiques, nos perles méconnues et nos ovnis littéraires. La Communauté de l’Aube. Récits du démon. Conte de deux cabanes. L’ange d’outre-ciel. La machine à remonter le moral. La Maison des Reflets.
Nous, humains de Negaci, nous avons grandi tant bien que mal, dessiné, redessiné notre monde, effleuré l’idée de conquérir l’au-delà planétaire, exploré ce qui nous rendait bons ou mauvais.
Nous avons évolué, oui, évolué, peut-être vers le meilleur, et puis… Ensuite…
À un moment de notre Histoire, notre Humanité prit conscience de ce nouveau phénomène. De son évolution.
La douleur augmentait.
Cela commença de façon très fugace. Ça-et-là, de simples égratignures qui tout à coup se firent plus virulentes, plus dures à supporter. Ça-et-là, des pleurs prolongés dans une cour d’école. Dans le même temps, toute blessure cicatrisait plus vite qu’avant. Le corps humain s’avérait capable de guérir de plus en plus rapidement. Ça-et-là, des os fracturés rétablis en quelques jours seulement. Ça-et-là, des hôpitaux soudainement remplis de miraculés.
Des études furent menées en laboratoire. De nombreuses études, toutes froides et implacables, inquiètes, vérifiées, revérifiées, avec stupeur. La douleur augmentait. Intensifiée de façon absurde par le corps ou par son environnement, en vérité par les deux, comme nous étions en train de le réaliser. La souffrance augmentait. De même que la capacité de nos corps à tenir bon, à ne pas mourir, et donc à souffrir davantage. Plus terrible encore, le monde changeait. La nature et ses lois. La réalité elle-même prenait un cap inimaginable. La simple vue d’un arc-en-ciel engendrait de terribles migraines. Respirer devint également douloureux. D’atroces phénomènes advinrent dans ce nouveau monde. Le Vent-qui-Brûle. L’Eau Mordante. Les larmes de sable et la maladie des corps-cristaux.
Ici les mots pourraient me manquer.
Ô compagnons de ce soir, vous qui venez si souvent aux abords de cette oasis, afin de partager contes et poèmes à la faveur de la belle étoile des mots…
Pour vous retrouver ici, au beau milieu de ce désert, vous avez dû marcher dans ce désert. Peut-être étiez-vous pieds nus. Peut-être vos membres étaient-ils déjà endoloris, fatigués d’avoir déjà marché ailleurs, trop longtemps, en trébuchant.
Mais avancer sur tout ce sable, ce n’est pas cela qui vous a achevé, qui a multiplié votre peine.
À présent, oubliez le sable. Imaginez devoir marcher sur un sol de glace. Puis sur un sol hérissé de clous. Enfin, imaginez devoir marcher sur des braises. Sachez enfin que vous traverserez les flammes. Une part de vous se dit peut-être : Je finirai par mourir. Brûlé, gelé, noyé… Mais la douleur ne durera pas. Il y aura une fin à cette sensation si atroce. Imaginez alors que non. Sachez que votre corps se régénère plus vite que l’éclair, et qu’il ne vous laissera jamais de répit. Que vous ne pourrez plus que courir, que trébucher, que vous tordre, que vous ne connaîtrez plus que cela. Que vos seuls repos ne seront plus que des comas temporaires de quelques secondes. Que le reste du temps vous hurlerez de douleur, jusqu’à vous briser les cordes vocales, les os, encore et encore, jusqu’à tout faire pour mourir, coûte que coûte, en vous jetant dans un ravin, en vous offrant à la grande flamme des Plaines-écorchées. Cela non plus, ce ne sera pas suffisant. Votre corps se régénèrera de nouveau. Il guérira pour avoir mal, pour être aussitôt meurtri, encore et encore. Encore et encore.
Imaginez ensuite pire que cela. Considérez qu’il n’y aura jamais de fin à ce supplice. Peu à peu une mécanique insensible se sera mise en place. Les lois physiques, défigurées, corrompues, auront achevé de figer le réel dans l’état le plus terrible qui puisse être. Imaginez quelque chose de plus douloureux que des flammes. À jamais.
Voilà la direction que prenait notre univers. Ce vers quoi nous étions en train d’aller.
Le pire destin possible.
L’enfer.
Le véritable. L’éternel.
Voilà ce que Negaci nous réservait.
Alors nous avons décidé de détruire Negaci.
Imaginez des milliards de corps déjà endoloris, affairés à la même tâche, attelés au même projet démentiel, désespéré. Nous avons étudié notre univers, étudié sa Matière, son Vide, son Au-delà… Nous avons scruté, frénétiquement, la seule solution supportable. Un jour la plus radicale des équations fut résolue. Sur ce papier usé par les nombres, désintégrer le moindre composant du moindre atome semblait possible.
Naturellement, il fallut donner un nom à cette entreprise.
Au début, certains l’appelèrent « le Projet A ». D’autres, le « Plan Prioritaire ». D’autres encore, « le Noir Dessein ». Finalement ce fut, pour une plus large majorité : « L’Unique Horizon ».
Au fond, peu importait la désignation. Voilà ce qu’il nous restait à faire : Concevoir la Machine. La plus destructrice qui soit.
Tous les moyens ont été mis en œuvre. Absolument tous. Grandes et petites puissances se sont unies de-par le monde. La République d’Isal. L’Union des Deux Pôles. La Compagnie d’Aeel. L’Église des Quatre Continents. Les Royaumes d’Aurora. Les Nomades Unis. Les Frères-Pays. La Sororité des Grandes Steppes. La Communauté des Mers Intérieures. Les Archipels du Dathka. Les Yams, descendants des Tribus Sudiin. Le Culte de C’Sisth. L’Empire des Plaines du Mordriaal. L’Alliance d’Endorr.
Pour la première fois dans l’Histoire, notre Histoire, tous les peuples du monde se sont réellement unis autour d’un même objectif. Le dernier acte. Celui qui devait mettre un terme à toute existence.
La Machine fut conçue en un temps record.
La Machine fut placée à l’orée du Désert d’Entti, à douze pierres blanches de la Tour d’Ene Ramus, à quatre-vingt rells des premiers sentiers de l’Effren. On appela son emplacement le Point Zéro. Un fragment d’améthyste fut déposé en son cœur.
Nous étions prêts. Déterminés.
Sans l’ombre d’un doute, malgré la démesure de ce que notre Humanité s’apprêtait à faire. Il n’y avait pas à hésiter. Car il s’agissait de l’enfer. De son innommable menace.
Déjà, son tourment nous arrachait trop de cris enroués. La pluie nous faisait mal. Le soleil nous faisait mal. La clarté de l’aube et le clair de lune.
Nous aussi nous avions observé les étoiles. Nous aussi nous avions rêvé d’explorer des horizons inconnus et des mondes lointains.
Mais l’heure était désormais à la destruction la plus totale.
Il fallait tout abréger.
Assassiner l’espace, tuer le temps.
Écrire de force la fin de toute chose.
Ô compagnons de mon dernier soir, il me reste peu de temps avant de disparaître.
Je ne suis qu’un faible fantôme. L’ultime éclat d’un être à peine persistant, dans un espace-temps qui ne fut pas le mien.
Des jours et des nuits durant, je suis resté dans l’invisible et j’ai contemplé cette oasis. J’ai attendu votre veillée. J’ai voulu témoigner. Déposer là ma dernière parole. Laisser une trace infime en vos mémoires.
Je suis conscient de chaque instant.
Je suis vent et spectre. Lumière et ombre.
Il me reste trente secondes, avant de disparaître.
Je vous confie maintenant mes dernières paroles. La fin de notre histoire. La destruction de notre univers.
Car nous avons réussi…
Le projet A, le Plan Prioritaire, le Noir Dessein…
Nous avons réussi…
L’Unique Horizon a eu lieu. La Fin.
La Machine a été activée. Un flux libérateur d’énergie Axom s’est déployé dans le temps et l’espace. Plus vite que la lumière. En filigrane du Vide. De partout, quasi instantanément, toute chose a été consumée. Tous les atomes se sont effondrés, et avec eux, la Matière elle-même. Tout notre univers. Tout Negaci… a été totalement détruit, désintégré.
Le soulagement.
La Fin.
Voilà.
Ce que nous avons fait de Negaci.
Et ensuite…
Ensuite, plus rien n’a eu lieu, en temps et en heure rendus à la poussière, rendue au néant.
Ensuite, enfin, pour l’amour du ciel, tout a continué… de ne plus exister. Ensuite, il ne s’est plus rien passé.
Merci pour vos nombreuses et talentueuses contributions. Si vous le souhaitez, vous pouvez publier vos textes sur la page d’accueil. Vous pourrez ainsi avoir des retours sur vos textes.Vous pouvez indiquer en préambule que ce texte vous a été inspiré par l’atelier en ligne “Du début à la fin”.
Tom Astral, ta longue et belle nouvelle fera certainement réagir. À propos, je te remercie de ton préambule pour âmes sensibles, c’est une attention délicate même si ton texte est loin d’être agressif. Mais il est en effet des moments où on n’a pas envie de plonger dans la noirceur et la douleur.
Tom Astral dis-moi si je me trompe. Je lis ta nouvelle comme une forme poétique d’anticipation, du destin de notre humanité, du bing bang vers le néant vers lequel elle court.
Peut-être pourrais-tu publier ce texte dans la rubrique “Nouvelle” en choisissant des caractères plus lisibles ?
Loki a raison, publie ton texte dans la rubrique ” Nouvelles” que je puisse le commenter comme suit :
“Tom Astral je viens de relire ton texte. Il est puissant nous plonge dans un imaginaire terrifiant. Il témoigne d’une pensée prolixe, d’une forme de poésie délirante de listes extraordinaires qui illustre le pire. L’enfer c’est l’immortalité, l’échappatoire de la mort dont certains rêvent de nous “libérer” étant aboli ne reste que la souffrance inéluctable et éternelle, qui ne trouve d’issue que dans la destruction totale, l’Unique Horizon. Pas gai c’est sûr, très noir. Tu vois je suis rarement séduit par ce genre de littérature mais là je lève mon chapeau.”
@Tom Astral : Je plaide moi aussi pour que tu publies de nouveau ton texte dans la rubrique “Nouvelles”.
Si, si ! 🙂
Je me joins à mes camarades et ré-itère ma demande. @Tom Astral, publie sur la page accueil s’il te plaîîîîît…. ta nouvelle est gavé bien comme on dit dans le Sud-Ouest !