Il était une fois une princesse qui aimait le livarot, l’aligot et les berlingots.
C’était un plaisir – et en même temps une ruine – de l’emmener au restaurant. Peu lui importait que la nappe fût à carreaux ou damassée, elle dévorait à gogo de pantagruéliques cassoulets, d’homériques Pasticcios, de magnifiques fruits de mer, d’épiques pièces montées.
Trucula – car tel était son nom – ne manquait pas de prétendants. Elle jouissait d’un tempérament enjoué, d’une plastique irréprochable, d’une conversation des plus agréables et d’une voix d’or, capable de faire chavirer les loups de mer les plus aguerris.
Elle avait une prédilection pour les tenues chatoyantes, ondulantes, froufroutantes. Lorsqu’elle se déplaçait elle donnait l’impression de naviguer toutes voiles dehors sur des vagues multicolores.
C’était une personnalité solaire et populaire qui donnait le sourire à tous ceux qu’elle rencontrait. Aussi son charisme l’avait-il naturellement propulsée à la tête du Bureau Des Étudiants de son université. Elle animait aussi régulièrement les ondes de Radio U, la radio des étudiants.
Un jour qu’elle sortait du studio, elle croisa un jeune homme qu’elle n’avait jamais vu. On le lui présenta comme le créateur d’une nouvelle association qu’il venait présenter dans une autre émission.
Il était pâle, fluet, vêtu de noir de la tête aux pieds. Ses cheveux étaient soigneusement coiffés en catogan, sa tenue était stricte et impeccable. Même ses expressions étaient contrôlées, sauf la lueur qui habitait ses yeux sombres. Trucula lui souhaita la bienvenue en tant que Présidente et lui dit :
– Je suis ravie que de nouvelles associations soient proposées aux étudiants. J’ai hâte d’en savoir plus…
– Désolé, on m’attend en studio. Je te propose d’écouter l’émission…
Et il tourna aussitôt les talons.
… … …
(commencé par Line)
Deux autres histoires à continuer
Suite à plusieurs mains – Opus 1
Suite à plusieurs mains – Opus 2
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Étant une princesse gâtée, Trucula fut choquée et consternée par ce geste d’indifférence très impoli.
Elle regarda sa main, toujours tendue pour être embrassée courtoisement par le nouveau membre d’équipe alors qu’il se déplaçait sans être bouleversé par le sourire magique de la princesse.
Gênée, elle retira sa main discrètement en espérant que personne n’avait remarqué son visage rougir de colère.
“Comment transformer cette entité étrange en un véritable gentilhomme admirateur galant ?”, se demanda-t-elle.
“Comment ose-t-il rejeter ma requête sans le moindre signe de peur ni de honte ?”, continua-t-elle dans son monologue silencieux.
C’est ainsi que les premiers complots pour le forcer à se mettre à genoux sont nés dans la jolie tête de la princesse.
“Il me faut lui donner une leçon de bonnes manières” ; décida Sa Majesté Princesse des Moineaux, appelée comme telle, car elle nourrissait les moineaux tous les matins en cours à l’université.
Le lendemain…
Le lendemain il ne se passa rien.
Ce qu’ignorait Trucula c’est que le jeune homme pâle, fluet, vêtu de noir de la tête aux pieds était professeur dans l’université. Plus précisément professeur de biologie marine en mer de Chine.
Il avait passé une magnifique thèse de doctorat, à l’université de Charleville-Mézières, sur « Les phénomènes de procréation des Bacillariophyta » dont les spécialistes se souviennent encore. J’en vois rire certain, mais la thèse de Gaston présentait autant d’intérêt que celle que passa un de ses camarades d’enfance, la même année, intitulée « Le caractère érotique des accents circonflexes dans l’œuvre de François Villon ».
Quoi qu’il en soit Gaston avait pu obtenir ce poste de professeur à l’Université Antoine de St Exupéry.
Il avait fondé une association d’une importance capitale « La sauvegarde du dragon de Komodo ». Ayant rencontré incidemment Trucula dans un couloir, Gaston en était devenu amoureux. Ces deux êtres étaient antinomiques, autant Tracula était ouverte à la vie et aux autres, autant Gaston était renfermé, timide et taciturne.
D’ailleurs les cinq étudiants qui assistaient à ses cours l’avaient surnommé « Crispou».
Pour ajouter une touche encore plus grisâtre au personnage de « Crispou », il était végane.
Lors sa dernière rencontre avec Trucula, il n’avait pas osé lui serrer la main et encore moins déclarer sa flamme.
Quel avenir allait réserver le destin à ces deux êtres ?
Trucula n’aimait vraiment pas être ignorée comme cela, surtout par un représentant de la gent masculine. Elle avait pris pour du dédain et pour de la goujaterie l’attitude de Gaston, une attitude qui n’était que le fruit d’une timidité maladive. La princesse avait l’habitude de se comporter en princesse, avec une grâce et une amabilité qui frisaient la condescendance, mais elle était capable des pires calculs et des pires vengeances lorsqu’elle se sentait humiliée. Et c’était le cas : Gaston avait osé la swapper !
Non, le lendemain il ne se passa rien, enfin si l’on peut dire, car un court- circuit avait détruit une partie de l’installation – il était vrai, précaire – de Radio U. L’urgence de la situation avait obligé la Princesse des moineaux à différer ses projets de représailles envers cet impoli de Gaston qui n’avait pas su reconnaître son rang de maîtresse des lieux.
De son côté Gaston ne put s’empêcher d’être tracassé par ce raté avec Trucula. Il se doutait bien qu’il devait l’avoir vexée par son attitude de grande impolitesse, mais il restait dans le désarroi, ne voyant pas de moyen d’y remédier. Son intervention sur Radio U s’était bien passée ; c’est vrai que son association n’avait un intérêt capital que pour lui… en fait, ses “Dragons de Komodo” étaient son hobby : il ne s’agissait pas de ces animaux inquiétants qu’on trouve dans les jungles d’Indonésie, mais de ces grands cerfs-volants asiatiques qu’il aimait faire danser sur les plages, tous les week-ends.
Le soir, alors qu’il quittait le restaurant universitaire, il aperçut Trucula qui venait de s’installer à une table, après avoir déposé son plateau lourdement chargé de toutes sortes de plats.
– Ah ! J’ai faim ! Je mangerais un cheval ! l’entendit-il s’exclamer.
Elle était seule et il osa s’approcher.
– Bonsoir Trucula, tu as écouté l’émission hier ?
D’une voix glaciale et en le tançant d’un regard qui aurait pétrifié un volcan en pleine éruption, elle lui fit :
– … …
– Oui, et alors ?
– Tu as aimé ?
– Disons que j’aime voir les gens faire bien ce qu’ils sont censés faire
– Et qu’est-ce que je suis censé faire, selon Sa Majesté la Princesse de Moineaux ?
– Exactement ce que j’ai dit : ce que l’on est censé faire, selon les règles du château.
– Sa Majesté a-t-elle un livre d’instructions ?
– Tu es censé en connaître le contenu par cœur.
– Chaque fois que je pense qu’enfin, je connais le contenu, il y a une nouvelle mise à jour automatique et je dois tout recommencer.
– De toute façon, quelqu’un n’a pas respecté les règles de sécurité ; il y a eu un court-circuit et nous avons perdu notre précieux sanctuaire dans l’aile gauche de l’installation.
– Ne me regarde pas de manière accusatrice. Ce n’était pas de ma faute, ce n’était qu’un accident. J’aurais peut-être dû enlever mes carcasses cloutées avant d’entrer. Je m’achèterai des chaussures convenables dès que je recevrai finalement mon salaire. C’est promis.
Trucula inclina automatiquement la tête et fixa ses vieilles carcasses. Elle n’en croyait pas ses yeux remplis de larmes : le pauvre homme ne pouvait pas s’offrir de nouvelles chaussures.
– Non, ce n’est pas de ta faute ; ce sont ces clous sous tes semelles. On ne peut pas intenter une action en justice contre des clous de chaussures ; n’est-ce pas ?
Du coup, il tomba à genoux, leva le menton vers Trucula et la regarda intensément avec ses yeux humides :
– Tu es belle et je t’aime.
Trucula toisa le jeune homme :
– Ce n’est pas parce que tu te jettes à mes pieds que je vais me pendre à ton cou. Tu ne sais pas qu’il faut faire sa cour d’abord ?Pfff….Tout se perd ! Enfin, je te rassure, de toutes façons tu n’as aucune chance avec moi !
À ces mots, Gaston s’effondra :
– Mais Trucula, tu mets mon coeur en miettes !
– Ça tombe bien, j’ai des moineaux à nourrir !
Là-dessus, Trucula lui tourna le dos en faisant virevolter sa cape…
Ça tombe bien, j’ai des moineaux à nourrir ! Quelle excuse pitoyable…
La princesse aux oiseaux avait vraiment un cœur de pierre.
Les hommes pâles, fluets et surtout vêtus de noir n’étaient pas sa tasse de thé. Elle les préférait baraqués et virils.
Un beau costard et des mocassins à pompon lui faisaient plus effet que cette veste froissée, ce pantalon avachi que portait Gaston. Et où était-il allé chercher ces chaussures cloutées ? Sûrement dans un magasin de surplus militaire !
Depuis qu’elle avait été propulsée à la tête du Bureau des Étudiants de son université, elle ne se sentait plus péter…
Elle s’était renseignée discrètement sur ce garçon timide qui osait aujourd’hui lui faire une déclaration. Pour qui se prenait-il avec son dragon de Komodo et ses phénomènes de procréation des Bacillariophyta ?
Elle avait repéré un étudiant qui venait à la fac en Porsche 911 Carrera…
Il avait bien essayé de lui faire sa cour lui, en l’inondant de roses, de champagne et de caviar. Mais une cour aussi matérialiste ne convenait point non plus à la princesse. Après une coupette acceptée par politesse, elle lui avait clairement fait savoir qu’il n’y avait aucun espoir.
Cependant il n’avait pas pris ombrage de ce refus, n’ayant pas de mal à collectionner les conquêtes. Intrigué par cette résistance et désireux de se faire bien voir d’une femme d’influence il était revenu de façon plus subtile à la charge en proposant de soutenir financièrement des associations.
Trucula avait donc accepté un rendez-vous… en compagnie de la Vice-Présidente et du Trésorier du Bureau Des Étudiants, à seule fin de remplir ses devoirs en tout bien tout honneur.
Mais derrière son assurance et sa jovialité, se cachait le secret désir de rencontrer un homme qui saurait lui faire la cour avec sensibilité. Un homme qui prendrait le temps de découvrir ce qu’elle aimait, qui saurait la faire rire, l’étonner, parler à son coeur et à son intelligence. Un homme sincèrement épris. Mais il n’est pas facile de discerner l’authenticité des sentiments lorsqu’on est une princesse adulée, entourée de courtisans…
Une notification de message cliqua sur le portable de Trucula. C’était un numéro inconnu. Trucula ouvrit le SMS avec un peu de méfiance :
Chère Trucula, tu voudras bien excuser la licence que je prends de t’envoyer ce SMS bien que tu ne m’aies pas transmis ton numéro.
Trucula sourit : c’était alambiqué, mais fort poli et délicieusement suranné. Elle continua donc sa lecture.
Je souhaitais m’excuser de m’être ainsi jeté à tes pieds dans le fol espoir de t’imposer mes sentiments. C’était faire peu de cas des tiens. Puis-je te demander une nouvelle chance ?
Trucula fit la moue, ce garçon n’était pas du tout son type, mais enfin il l’intriguait et il était courtois.
J’ai bien compris que je n’étais pas ton type d’homme, aussi je ne te demande que la possibilité de bénéficier de ta présence aux moments que tu voudras bien m’accorder. Je m’efforcerai d’être un compagnon agréable, en tout bien tout honneur. J’espère y parvenir. Cela te semble-t-il envisageable ? Prends ton temps pour me répondre.
Trucula fut charmée de ce message et à vrai dire, elle avait quelques regrets de lui avoir piétiné le cœur avec ses histoires de moineaux. Elle craignait toutefois de s’ennuyer ferme avec ce garçon qui lui semblait falot à première vue.
Elle pianota un message par retour. Trucula n’était pas le genre de fille à faire traîner une décision. Princesse d’accord, mais fighteuse d’abord, pas le genre à s’alanguir nonchalamment sur une méridienne.
Si tu étais mon chevalier servant, que me proposerais-tu par exemple ?
La réponse fusa :
Merci de bien vouloir envisager cette éventualité. Si cela te faisait plaisir, je pourrais t’initier à l’art du cerf-volant. Je sais en construire de fort beaux et je pourrais te montrer comment utiliser le vent pour faire de gracieuses figures. Sinon, je connais très bien la cuisine indonésienne. Ne crois pas que je n’apprécie pas la gastronomie, mon physique fluet est trompeur, je le tiens de ma grand-mère qui était une princesse javanaise. Je peux te faire découvrir les meilleurs poulets sauce cacahouète de Paris.
Trucula sourit. Peut-être n’était-il pas un véritable prince javanais, mais cette histoire était amenée avec une hardiesse, une adresse et une délicatesse qui lui plût. Elle lui répondit :
Cher chevalier servant ta proposition m’agrée car tu sembles manier les mots avec autant de virtuosité que tes cerfs-volants. Merci pour ce gracieux échange et retrouvons-nous à la plage demain pour une initiation au cerf-volant.
Gaston referma hâtivement son portable, il n’avait plus que quelques heures pour confectionner le plus beau des cerfs-volants.
Trucula se sentait toute émoustillée à la perspective de ces deux rendez-vous. D’abord ce jeune étudiant, séduisant, entreprenant, ambitieux et plutôt beau garçon qui n’avait pas hésité à lui faire une cour flatteuse, certes quelque peu dépourvue de subtilité mais qui honorait son statut de princesse, ce que n’avait pas fait ce ballot de Gaston, emprunté, maladroit et maigrichon par dessus le marché ! Elle n’avait pas encore mis bien au clair ce qui l’avait finalement poussée à consentir ce second rendez-vous, et pourtant celui-ci l’engageait beaucoup plus que le premier. Avec le jeune étudiant la rencontre aurait lieu sous le prétexte associatif, au travers de discussions qui ne les concerneraient pas directement elle pourrait se tenir en retrait avec tout le loisir de l’observer, de le voir venir sans aucune nécessité de se dévoiler, tandis qu’avec l’amateur de « dragons de Komodo » elle avait accepté un rendez-vous sur la plage, en tête à tête, ils seraient seuls, offerts aux caresses du vent, pieds nus sur le sable et face à l’océan, il y avait bien sûr ses aveux sur les cerfs-volants, l’intérêt aussi enthousiaste que simulé qu’elle avait manifesté mais le jeune et timide professeur ne pouvait être dupe.
Trucula avait décidé de ne rien décider tout de suite, de se laisser porter par les évènements. Après avoir rencontré ses deux prétendants, d’ici quelques heures, peut-être aura-t-elle entrepris une liaison avec l’un ou avec l’autre, lequel ? L’étudiant correspondait plus à ses attentes récentes mais le verbe et les passions de Gaston l’intriguaient. Elle verrait bien. Et finalement pourquoi choisir, pourquoi se priver de l’un comme de l’autre ? Alors lui revint tout à coup à l’oreille une vieille chanson que lui susurrait sa grand-mère en guise de berceuse: « Jolie meunière décidez vous ou pour Jean Pierre ou pour Jean-Loup … ».
Son appétit pour la vie était celui d’une ogresse et le temps allait lui paraître bien long avant de les revoir. Il fallait maintenant les chasser de son esprit et Trucula se mit à saliver à l’idée de cuisiner les quelques coquilles saint Jacques qu’il lui restait. Son existence la ravissait ! Elle se servit un bon verre de Pessac-Léognan blanc et tout en le dégustant lentement elle sentit une évidence s’immiscer dans son coeur et contre laquelle il fut vain de lutter, son bonheur n’en fut nullement terni : son désir de plage était le plus intense.