Circonstances
Vous connaissez peut-être la fameuse formule QQCOQP
(Qui, Quand, Comment, Où, Quoi, Pourquoi)
qui permet de ne rien oublier dans une investigation ou dans la description d’un évènement.
Eh bien, voici une partie des données : le Qui, le Quand, le Où et le Pourquoi.
1 – Choisissez, ou prenez au hasard, un élément parmi les “Qui” proposés,
puis parmi les “Quand”, les “Où” et les “Pourquoi”.
Qui… |
Marie-Pierre, fleuriste. |
Philippe, professeur de mathématiques |
Jean-Louis, cuisinier. |
Patricia, hôtesse de l’air. |
Quand… |
Mardi dernier, vers 7h30, aussitôt après son croissant du matin. |
Tous les 28 septembre. |
Chaque fois que la chatte fait des petits. |
Après avoir claqué la porte. |
Où… |
À l’église Sainte Engrâce, devant l’autel. |
À la fête du village. |
Sur le chemin de Compostelle. |
Au bistrot, place des Victoires. |
Pourquoi… |
Parce qu’il avait perdu ses bretelles bleu-blanc-rouge. |
Parce qu’elle aimait écouter le saxophone en fermant les yeux. |
Parce que Marcel n’arrivait pas et que le dernier bus était passé. |
Parce qu’il/elle avait abusé des rognons de veau préparés par sa mère. |
2 – À vous de trouver le quoi et le comment et de nous conter l’histoire
en mettant en œuvre votre imagination pour raccorder tous ces morceaux.
Que s’est-il passé ( Le Quoi et le Comment ) ?
Je fais l’hypothèse que vos différents choix amèneront à des textes qui se feront écho les uns aux autres de manière inattendue (mêmes lieux, mêmes pourquoi, etc.). À vos claviers !
N.B.1.
Bien sûr, vous pouvez si vous le voulez choisir 2 personnages et 2 situations et les mélanger dans une même histoire où,
par exemple, Philippe croisera Patricia qui sort de l’église alors qu’il entre au bistrot !… … 😊
N.B.2.
Vous pouvez aussi imaginer d’autres personnages et d’autres circonstances pour nous écrire une autre histoire.
Merci de poster ensuite vos textes dans la boite de commentaire ci-dessous.
Un rien peut changer le cours des évènements
Marie Pierre, les fleurs à la main venait d’entrer dans l’Eglise. La fleuriste se faisait un plaisir d’offrir régulièrement le décor de l’Autel aux paroissiens.
Pour ceux qui se recueillaient tous les dimanches, et écoutaient non sans ennui les sermons du Père Jean Baptiste, regarder les fleurs de Marie Pierre était un dérivatif. Faute d’écouter, ils regardaient.
La fleuriste se pliait au rituel du fleurissement de l’Eglise Sainte Engrâce devant l’Autel, avec bonheur et conviction, elle avait la foi et servir Dieu par ce petit geste avait de l’importance pour elle. C’est ce qu’elle fit mardi dernier, vers 7h30 aussitôt après avoir pris son croissant du matin.
Ses dévotions accomplies et après avoir claqué la porte de l’Eglise, elle revenait au bercail s’occuper de sa petite famille. Famille qui se composait de son mari et de ses chats . Si ces derniers étaient autonomes, son mari demandait une attention particulière.
Philippe, son mari, professeur de mathématiques, toujours dans les nuages celui la…. On se demandait comment il pouvait enseigner avec une telle efficacité. Il était d’une étourderie sans nom, étourderie encore plus prégnante chaque fois que la chatte faisait ses petits, ce qui ne saurait tarder, c’était pour les jours à venir.
Philippe ne parlait que de ça. Cet homme était autant préoccupé de leur sort que les grenouilles de bénitier ignoraient les sermons du Père Jean Baptiste, çà n’était pas peu dire !
Sans une certaine appréhension, Marie Pierre pénétra dans la maison. L’agitation qui y régnait était révélatrice. Bouboule, la chatte, surnommée ainsi à chaque fois qu’elle fautait, avait donné naissance à une ribambelle de chatons.
Philippe bien sûr en était tout émerveillé, et toujours pas habillé !! Forcément, il avait perdu ses bretelles bleu blanc rouge, celles qu’il mettait traditionnellement le dernier jour de classe . Marie Pierre lui suggéra, non sans malice, de demander à l’education nationale de décaler la fin des cours d’une journée, le temps de les retrouver. Mais Philippe ce jour là en plus des bretelles bleu blanc rouge avait perdu son sens de l’humour. L’heure tournait il allait arriver en retard. Il se contentera de mettre la casquette tricolore, achetée à l’occasion de la coupe du monde de rugby. Quitte à être la risée de ses élèves et en dépit des moqueries de sa femme, il ne faillirait pas à « sa » tradition.
Chemin faisant, il prit deux décisions qui allaient changer le cours de sa vie :
Bouboule devenait trop vieille, les petits s’était terminé. Il était temps pour Marie Pierre et lui de prendre le relai et de fonder une famille.
Quant à lui, il se présenterait aux prochaines élections municipales. Faute de bretelles il se ferait fort d’obtenir l’écharpe tricolore et s’épargnera de fait les quolibets de sa femme.
Ainsi naquirent successivement Gabriel, Marie et Madeleine, prénoms choisis par son épouse plutôt versée dans la religion. Il y avait consenti. Après tout c’est elle qui les avait portés et mis au monde, elle le méritait bien.
L’histoire ne dit pas si Philippe a retrouvé ses bretelles bleu blanc rouge.
Quant à l’écharpe tricolore, il la perd régulièrement, au grand désespoir de Jacqueline, sa secrétaire de mairie, qui prie tous les jours, dans l’Eglise Sainte Engrâce, face à l’autel fleuri, pour qu’il ne se présente pas aux prochaines élections.
Mardi dernier vers 7h30, Philippe prenait son petit déjeuner en consultant le blog des mathématiques : passionnant, ce dernier article sur le théorème de Fermat ! À peine avait-il découpé son croissant en trois parties égales et réservé son triangle central pour y appliquer une épaisseur régulière et néanmoins épaisse de Nutella, que la porte d’entrée, ou plus précisément la porte de sortie, claqua avec fracas. Sa femme, Marie-Pierre, venait de manifester sa réprobation devant ce même petit déjeuner qu’elle vivait en solitaire. Encore une fois, elle s’était sentie transparente, juste bonne à préparer le petit déjeuner de Monsieur.
Une fois dans la rue, elle s’avisa qu’elle ne pouvait aller directement à son travail, la boutique de fleurs étant exceptionnellement fermée ce jour-là. Il faisait un peu froid et elle n’avait nulle envie de reprendre un café. Elle marcha au hasard dans les rues histoire de se calmer les nerfs. C’est ainsi que ses pas l’amenèrent à l’église Sainte-Engrâce. Par la porte entr’ouverte, elle entendit une mélodie douce et rythmée. Un saxophone ! Elle n’aimait rien tant qu’écouter cet instrument en fermant les yeux !
En pénétrant dans la nef, elle se trouva face à un tapis rouge sombre qui remontait jusqu’au chœur. Son regard fut immédiatement attiré par les petits bouquets de fleurs blanches fixés aux montants ce chaque travée. Devant l’autel, deux fauteuils blanc et or attendaient de futurs mariés. Elle remonta l’allée et apprécia les élégantes compositions de renoncules et de gypsophile nouées d’un ruban de gaze blanche. À gauche, dans l’abside, se trouvait le saxophoniste, un grand jeune homme blond, portant des lunettes noires. Une canne blanche à pommeau d’argent était posée près de lui, contre une corniche de porphyre.
Marie-Pierre s’assit au premier rang, près des fauteuils des mariés pour mieux regarder la fresque qui ornait le demi-coupole au-dessus de l’autel. La Vierge Marie, pleine de grâce, trônait au milieu de séraphins en robe blanche. Des mèches blondes apparaissaient sous son voile immaculé et ses pieds nus reposaient sur un coussin de nuages. Des cyprès et des oliviers se découpaient sur le ciel doré. Marie-Pierre ferma les paupières pour s’imprégner de ces images et mieux savourer la musique.
Le musicien jouait maintenant « An Englishman in New-York”. Ce n’est pas un répertoire très catholique ne put s’empêcher de penser Marie-Pierre, mais ma foi, qui avait-il de mal ? De fait, ce morceau correspondait bien à celui qui le jouait. Avec sa chevelure christique soigneusement coiffée en catogan, son collier de barbe bien taillé, son costume élégant et ses chaussures cirées, il ressemblait à un « Englishman ». L’aristocratique canne à pommeau d’argent complétait le tableau. Marie-Pierre sourit en repensant aux paroles de la chanson « I’m an alien… ». Oui,ce jeune homme avait un air d’alien, d’extra-terrestre descendu des cieux pour jouer quelque musique divine, doucement mélancolique.
Marie-Pierre, les yeux toujours fermés repensa à son propre mariage. Les moments heureux du passé lui revinrent, l’apaisant doucement. Rassérénée, elle caressa le prie-Dieu ciré et retourna chez elle.
Le lendemain matin, alors qu’elle trempait avec délices son croissant dans un voluptueux bol de chocolat, son mari lui apporta le journal local. « Tu as vu chérie, ce qui s’est passé près de chez nous ? ».
Horrifiée, Marie-Pierre découvrit la première page :
Une mariée poignardée pendant son mariage
Hier après-midi, vers 14h30, la jeune Mélodie M. a été poignardée alors qu’elle venait de pénétrer dans l’église Sainte-Engrâce où son mariage devait être célébré. Son pronostic vital est engagé. L’agresseur s’est laissé arrêter sans difficulté : ” A gentleman will walk and never run* “, a-t-il déclaré. Il s’agirait d’un crime passionnel. L’homme, un citoyen britannique de 26 ans, était l’ancien compagnon de la jeune femme. Musicien professionnel, il s’était mêlé à l’assistance, sous couvert de participation à l’animation musicale de la cérémonie.
Le journal tomba des mains de Marie-Pierre, éclaboussant la table de chocolat. Au milieu de l’article, une photo montrait la mariée, les mains sur la poitrine, crispées sur une fleur rouge sang donc le cœur était un pommeau d’argent…
* Paroles et traduction de la chanson : https://www.lacoccinelle.net/246273-sting-english-man-in-new-york.html
Elle était assez contente de son prénom Patricia. Il lui semblait parfaitement s’accorder à son physique, consciente qu’elle elle était d’être un fort belle femme, et à sa profession, hôtesse de l’air. Elle avait réalisé un vieux rêve d’adolescente, quand son regard abandonnait le roman-photo, laissé ouvert sur ses genoux, pour s’envoler dans ces grands appareils blancs parcourant le monde, où naissaient des amours épanouies dans de splendides excursions et de luxueux hôtels.
Elle avait réalisé son rêve, oui, professionnellement, mais en ce qui concernait les amours elle était allée de déception en déception. Bien sûr elle n’avait eu aucune difficulté à attirer l’attention de beaux pilotes, bien campés dans leur uniforme, la casquette vissée sur la tête, la visière tombant sur une paire de Ray-Ban qui, entretenant le mystère, laissait à peine apparaître les traits réguliers de l’homme viril. Elle déchanta vite, et si elle continuait à aimer son métier, c’est qu’elle avait fini par s’accommoder des servitudes que les romans photos ne révélaient pas.
Elle aurait peut-être dû suivre les conseils de Philippe, son cousin prof de maths, qui s’évertuait à tuer dans l’oeuf les projets irréalistes de ses élèves, aveuglées par le prestige illusoire d’une profession qui en valait bien une autre mais dont il ne fallait pas négliger les aspects pratiques.
Elle comprit vite que ce travail était en fait un obstacle à une vie sentimentale équilibrée.
Patricia, après de multiples aventures et parvenue à la trentaine, était seule.
Philippe, pour qui elle éprouvait une véritable affection et avec lequel elle partageait de nombreux souvenirs d’enfance, l’avait entraînée un jour à un concert de jazz, Patricia n’était pas fan mais elle était toujours disposée à suivre son cousin car partout où il avait l’amenée elle n’avait jamais eu à le regretter. Ce concert avait lieu en l’église Sainte Engrâce. Ce fut une illumination ! Elle fut littéralement transportée par un solo de saxophone qui l’avait touchée au plus profond, d’autant qu’il lui avait semblé que le musicien avait joué pour elle, leurs regards s’étant longuement croisés à plusieurs reprises. Patricia en ce 28 septembre était sortie bouleversée.
Elle n’était pas spécialement superstitieuse, mais elle s’arrangea pour que ses plannings de vol lui laissent toujours le 28 septembre libre afin de se rendre en l’église où elle avait vécu ce moment si unique. Elle se figeait devant l’autel et là, fermant les yeux, elle revivait ce concert d’exception et le saxophone résonnait dans son coeur.
Le temps avait passé, c’était sa septième visite et elle se félicitait de ce rituel qui finalement avait introduit une sorte de stabilité dans sa vie, mais l’âge avançant elle se sentait submergée par une solitude de plus en plus irréversible.
Lors de leur dernier rendez-vous au bistrot de la Place des Victoires, Philippe lui avait laissé miroiter un évènement exceptionnel. “C’est la 7ème fois que le 28 septembre tu te rends dans cette église, tu connais tout le mystère dont les hommes ont chargé le chiffre 7. Tu sais comme moi que 28 c’est 4 fois 7 et que le mot septembre contient le chiffre fatidique pour avoir été le 7ème mois du calendrier romain !” Et avec un grand sourire aussi affectueux que moqueur il avait ajouté : “Ah ! La magie des chiffres !”.
Dans le silence de la nef Patricia, les yeux clos rêvait devant l’autel. Un observateur aurait pu la croire absorbée par une fervente prière, mais non elle retrouvait ce morceau de musique qui la plongeait dans le souvenir d’une merveilleuse soirée où elle avait perçu, l’espace d’un instant, l’image de ce bonheur vainement poursuivi dans tous les nuages du monde. Lorsque tout à coup dans son dos s’élevèrent, pour résonner jusqu’aux plus hautes nervures de la voûte, quelques notes de saxophone. Elle fut soudain parcourue d’un frisson presque violent, mais délicieusement émouvant, une onde qui emplit tout son corps. D’abord elle crut à une sorte d’hallucination puis elle n’eut plus de doute sur la réalité de cet air qu’elle avait si précieusement conservé dans sa mémoire. Elle n’osait se retourner alors que le son semblait se rapprocher, puis ce fut le silence et elle sentit une main se poser doucement sur son épaule. Son coeur battait à tout rompre lorsque d’un lent demi-tour elle découvrit à hauteur de ses yeux le sourire, encore si présent à son esprit, du saxophoniste du 28 septembre. Ce moment dura une douce éternité avant qu’il ne parle : “Je suis venu répéter un concert que je vais donner ce soir, je ne vous ai jamais oubliée, ni vous ni cette intense communion des regards que nous avons échangés ce soir là, je ne sais par quel miracle je vous retrouve aujourd’hui mais sachez que j’en éprouve un immense bonheur”.
Patricia lui tendit une main, qu’il prit avant que leurs lèvres ne se rapprochent des un lent mouvement partagé.
Philippe jeune agrégé de mathématiques croyait avoir trouvé le bonheur dans cette discipline.
Peu de gens le croiront, mais on peut ressentir de l’extase en se plongeant dans la trigonométrie, jouir dans la résolution de système d’équations, se transcender dans la géométrie dans l’espace et se sublimer dans les imaginaires !
Une brisure dans ce bonheur fut sa nomination au collège de Saint-Benoît en Bezouille.
Il s’aperçut vite que malgré toute sa bonne volonté il était pratiquement impossible d’intéresser la majorité des élèves à la mathématique. Il avait la sensation de servir de la confiture de rose à des cochons.
Il avait trouvé une certaine consolation à cet échec, en discutant avec ses collègues qui avaient les mêmes problèmes que lui avec la littérature, l’histoire et géographie et même l’éducation physique. Tous faisaient le même constat, les seules valeurs pour la plupart des élèves étaient des minus qui couraient après un ballon, des chanteurs au QI de mouche, mais que les médias mettaient en exergue.
Heureusement que dans cet océan de médiocrité il y avait Marie-Pierre, une fleuriste de Saint-Benoît en Bezouille.
Mardi dernier, vers 7h30, aussitôt après son croissant du matin, il s’apprêtait à regagner son « sacerdoce », il était passé devant l’église Sainte Grâce et il avait aperçu une jeune femme en train de garnir l’autel de gerbes pour un enterrement.
Quittant le monde des mathématiques, il était rentré dans l’église. Et là, ce fut le coup de foudre, son regard croisa celui de Marie-Pierre. Comme un enfant en faute il quitta discrètement le lieu sacré. Sa vie venait de basculer…
Depuis cette rencontre il vivait dans un autre monde. En classe il n’était pas là, la tête pleine du visage de Marie-Pierre, il faisait cours d’une façon mécanique, imperméable au bruit des élèves. Lui qui jusqu’alors ne se souciait pas de sa tenue vestimentaire prit soin de son aspect. Il regrettait d’avoir perdu ses bretelles bleu, blanc, rouge. Il s’empressa d’en racheter une paire au bazar « Au bonheur des dames et des messieurs » tenu par une vieille dame à Saint-Benoît en Bezouille. Muni de cette paire devant le mettre en valeur, il se rendait tous les jours dans la boutique de Marie-Pierre acheter un bouquet. Ils échangeaient des banalités, mais la seule présence de la fleuriste lui suffisait. Et tous les jours le bouquet terminait sa vie dans la rivière…
Lui jusqu’alors, toujours d’humeur égale fut pris par le démon de la jalousie.
Surtout qu’il rencontrait parfois dans la boutique de Marie-Pierre, Jean-Louis cuisinier de son état, dans une charcuterie, qui venait apporter à la jeune femme un saucisson, un bout de pâté ou une crème brûlée. Quand il voyait le jeune artisan rouler des yeux de merlan frit,il l’aurait volontiers frappé.
Tous les jours il avait l’espoir d’avoir l’audace de déclarer sa flamme !
Mais un jour l’espoir se transforma en désespoir !
Le 28 septembre, alors qu’il faisait ses courses, il aperçut Marie-Pierre donnant la main à Patricia. Patricia, une hôtesse de l’air habitant non loin de chez lui…
Une fleuriste mélomane.
– Tu porteras d’abord le beau bouquet à l’église Sainte Engrâce, devant l’autel. La cérémonie funéraire est à 10 heures.
– Il faudra livrer un petit bouquet de roses Desdemona au numéro 48, rue des marrons.
– A ton retour, tu prépareras un joli montage d’anniversaire pour Madame Cécabo ; elle viendra le chercher à 18 heures. C’est ainsi que Marie-Pierre, fleuriste au village d’Orp-Jauche, dicte les tâches à Lucie.
Celle-ci y travaille 3 jours par semaine ; c’est une belle boutique réputée dans le village et dans les
environs ; Lucie se partage entre livraisons, compositions florales, achats au marché matinal et nettoyages ; elle aime ce métier.
Marie-Pierre est autoritaire et exigente.
Lucie quitte le magasin, installe l’imposant bouquet dans le panier, à l’arrière de son scooter et démarre. Près du petit parc Saint Joseph, des notes de saxophone lui parviennent, d’abord faibles puis de plus en plus fortes ; elle reconnaît la musique du Roi Lion, puis celle de la Panthère rose ; le musicien répète, étudie des passages, rejoue le morceau ; elle reconnaît une Gymnopédie d’Eric Satie ; fascinée, elle s’arrête à quelques pas de la fenêtre du musicien ; assise sur un muret, son vélo électrique déposé contre un arbre, elle écoute le saxophone en fermant les yeux et se laisse imprégner de ces mélodies ; l’interprète étudie ; Lucie est en extase ; elle en oublie sa mission, chantonne en accompagnant le saxo. Le temps passe ; Lucie s’assoupit, bercée par la musique. Réveillée brusquement par des bruits de klaxons, elle se souvient de sa tâche ; elle reprend sa mobylette et redémarre vers l’église. Elle arrive au lieu de culte à 10 heures 25 ; la cérémonie est presque terminée ; en plongeant la main dans le panier pour reprendre le bouquet, elle a la sensation désagréable de vide ; le magnifique bouquet a disparu !
– Que faire ? Se dit-elle.
Désemparée, elle repart en direction de la boutique. Elle saisit la brassée de roses Desdemona et l’emmène rue des marrons, sonne à la porte du numéro 48 et livre les superbes fleurs.
Revenue à la boutique, elle entame la composition florale d’anniversaire ; c’est le travail qu’elle préfère ; elle choisit des œillets, des roses, des freesias, harmonise les couleurs, agrémente l’ensemble de fougères et de gypsophiles. Madame Cécabo vient chercher son trésor ; elle repart radieuse.
Puis vient l’heure du nettoyage ; il faut rassembler les détritus, constituer les poubelles, balayer, récurer.
A 20 heures, Lucie rejoint sa jolie demeure de Marilles ; Gilles, son mari, l’accueille gaiement ; il a
préparé le souper et s’est occupé des chats ; chaque fois que la chatte fait des petits, il l’aide, soigne les chatons et leur trouve des foyers accueillants.
– Le petit tigré est adopté par la famille Nicolet ;
– le chaton isabelle, c’est l’instituteur qui l’accueille ;
– le gris à la tache blanche est chez nos voisins de droite, explique Gilles.
A son tour Lucie lui raconte sa journée, ses joies et ses déboires.
– j’ai perdu le beau bouquet pour la cérémonie funéraire !
– Quand j’ai déposé le petit tigré chez monsieur Nicolet, il m’a dit qu’il avait découvert, au bord de la route, un grand bouquet ; sur la carte jointe, il a repéré l’adresse de Marie-Pierre, ta patronne.
Il lui a ramené les fleurs ; je ne serais pas étonné que Marie-Pierre te semonce demain.
Le lendemain matin, la jeune femme arrive au magasin tendue, inquiète, après une nuit agitée ; l’accueil est glacial :
– Que s’est-il passé avec la gerbe destinée aux funérailles de madame Rémy ?
Lucie hésite ; son visage est blême ; puis, dans un élan de courage, elle répond :
– Je me suis arrêtée pour écouter de la musique ; quand j’ai voulu reprendre les fleurs, elles n’étaient plus là.
– Écoute bien, Lucie, jusqu’ici j’étais satisfaite de tes services mais ceci est inadmissible, dit Marie-Pierre en appuyant sur chaque syllabe du mot.
Tu vas déposer la gerbe au cimetière sur la tombe de madame Rémy !
Puis tu rangeras les outils de l’atelier et tu commanderas du raphia naturel !
Si jamais un épisode analogue se reproduit, tu pourras chercher un emploi ailleurs, peut-être dans le milieu musical…
La jeune femme a repris son boulot, attentive, appliquée ; de plus en plus passionnée de saxophone, elle ne rate pas une occasion d’en écouter.