Numéro 1 – le 1er avril 2020 : Qui est coupable ?
Une jeune femme mariée, délaissée par un mari trop pris par son métier, se laisse séduire et va passer la nuit chez son séducteur, dans une maison située de l’autre côté de la rivière. Pour rentrer chez elle, le lendemain au petit matin avant le retour de son mari, qui va rentrer de voyage, elle doit retraverser le pont ; mais un fou menaçant lui interdit le passage. Elle court alors trouver un passeur qui lui demande le prix du passage. Elle n’a pas d’argent. Elle explique et supplie. Il refuse de travailler sans être payé d’avance. Elle va alors trouver son amant et lui demande l’argent. Il refuse sans explications. Elle va trouver un ami célibataire qui habite du même côté et qui lui voue depuis toujours un amour idéal, mais à qui elle n’a jamais cédé. Elle lui raconte tout et lui demande l’argent. Il refuse : elle l’a déçu en se conduisant si mal. Elle décide alors, après une nouvelle tentative vaine auprès du passeur, de passer le pont. Le fou la tue.
C’est sûr, quelqu’un est coupable, ou quelques-uns !
Désignez le ou les coupables et écrivez l’histoire qui fait qu’on en arrive là.
Vous avez le choix entre plusieurs formules, à écrire à la première personne :
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- Habitant du lieu, vous connaissez les protagonistes – au moins certains – et vous commentez cet événement à un proche (par courrier ou de vive voix) en donnant votre avis sur les responsabilités. Un genre de parfait commérage !
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- Vous êtes juge et vous devez trancher. Avant d’énoncer votre jugement, récapitulez les arguments et ce que vous avez entendu des différentes parties présentes (Attendu que…, attendu que…, attendu que…). Bref, soyez Salomon !
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ou
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- Vous êtes un des personnages (le mari, la femme, le séducteur, le passeur, le fou, l’ami). Vous vous sentez coupable ou innocent, pour quelles raisons ? (Si vous êtes la femme, il est évident que votre voix est d’outre-tombe). Vous pouvez varier cette troisième possibilité en écrivant plusieurs points de vue de plusieurs personnages.
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Adaptez le style de votre texte, sa « voix », au narrateur que vous avez choisi et écrivez bien à la première personne (Je).
À vous de jouer maintenant !
Je vous conseille de ne pas lire ci-dessous les textes de nos camarades avant d’avoir écrit le vôtre…
Proposition extraite de l’ouvrage « Ateliers d’écriture – Mode d’emploi » d’Odile Pimet et Claire Boniface aux éditions esf
Numéro 2 – le 18 avril 2020 : Variations sur un même thème
Atelier en ligne à partir du 18 avril :
Cette fois, nous vous proposons de revisiter les textes écrits à l’occasion de notre atelier commencé le 1er avril : “Passer le pont”. Des textes très variés et réjouissants !
Les textes figurent en bas de page, ci-dessous, dans les commentaires :
Alors, voici les consignes :
Voici deux propositions. Pour écrire, vous pouvez choisir l’une d’entre elle, ou les deux, et ainsi écrire un ou plusieurs textes. Vous pouvez même écrire plusieurs textes à partir de chacune des propositions.
Première proposition :
- Lisez ou relisez d’abord les 8 textes (ce n’est pas très long !) écrits à l’occasion de cet atelier en relevant dans chacun d’eux 3 ou 4 mots qui vous plaisent, qui vous intéressent, qui vous parlent…
- À partir de cette liste de mots, et en utilisant le plus possible de ces mots, écrivez un texte : une histoire, un poème, une petite nouvelle, un article de journal, une note de service, … Vous avez le choix du type de texte.
Deuxième proposition, un peu plus difficile :
- Lisez ou relisez les 8 textes mais en relevant dans chacun d’eux une phrase ou un bout de phrase.
- Sans écrire dans un premier temps, relisez ensuite bien ces phrases et bouts de phrases et imaginez une histoire dans laquelle vous pourriez les utiliser. Vous pouvez bien sûr changer l’ordre des phrases que vous avez notées.
- Écrivez maintenant votre texte en utilisant toutes les phrases (ou le plus possible). Vous pourrez les adapter (conjugaison, genre, singulier et pluriel, compléments, …) pour conserver la cohérence de votre texte. Conseil : si un bout de phrase choisi dans l’un des textes est trop difficile à intégrer, vous êtes autorisés à aller en chercher un autre !
Vous pourrez ensuite communiquer votre texte en le tapant ou en le collant
dans la boîte de commentaire ci-dessous (Laisser un commentaire).
Pour cela, il faudra d’abord être inscrit sur le site (Menu : Connexion –> S’inscrire).
Quand vous aurez envoyé votre texte,
vous recevrez un mail chaque fois qu’un nouveau participant ajoutera le sien. Pratique, non ?
Merci de nous faire part de vos remarques, elles seront précieuses pour affiner la formule.
Le point de vue d’Albert, au comptoir du bar du Commerce, émis à grands pas et avec des gestes de prétoire, lors de la séance hebdomadaire de “café philosophique” du premier mercredi soir de chaque mois…
Didascalie : les mots en caractères gras sont à prononcer très fort, en les martelant.
Mais qu’est-ce que c’est que cette façon de poser la question !?
Veut-on corrompre mon jugement en m’entraînant vers des voies déjà toutes tracées par la morale ? Veut-on m’influencer en me proposant des coupables comme ceci, des coupables comme cela, dont certains ne s’alignent pas sur telles valeurs, dont d’autres ne respectent pas telles convictions. Des valeurs et des convictions qui ne sont que des a priori tous contestables.
Veut-on me faire confondre la morale et la justice ?
Blâmerez-vous cette femme parce qu’elle est partie rejoindre un amant ? Vous blâmeriez la moitié de l’humanité ! Autant blâmer le pont lui-même !
Blâmeriez-vous tous ces hommes qui gravitent autour d’elle ? Certes, ils n’ont peut-être pas eu la meilleure des conduites qu’on nous enseigne, le courage que chaque homme doit revêtir comme un prêt à porter, mais peut-on raisonnablement leur reprocher le meurtre ? Aucun n’a levé la main sur elle. Elle seule a décidé de franchir ce pont dans un sens, puis dans l’autre.
Quant à moi, je ne vois qu’un seul coupable : celui qui a tué. Cela au moins est clair, tout le reste n’est que présomptions abusives, jugements hâtifs et discutables sans fin.
Mais, me direz-vous, celui qui a tué est un fou ! Comment peut-il être coupable !?
Écoutez-moi : on nous dit que c’est un fou, et cela vous le croyez aussitôt parce que cela est commode dans cette histoire, cela va bien avec le reste. Cela colle bien avec votre appétit romantique qui aime les histoires fatales. Mais, diable ! dites-moi qui le fait fou ? et à quelle aune mesurez-vous sa folie ? On vous l’a dit, … et cela vous suffit !
Encore faudra-t-il en apporter la preuve, mais on me dit que les experts en folie sont souvent recrutés parmi les fous eux-mêmes, alors, bien sûr, cela me rend fort perplexe…
Alors, est-il fou ? ou n’est-il pas fou ? Allez ! Faisons des suppositions :
S’il est fou, faut-il le punir ? Non, car il n’a pas accès au repentir, cela ne lui servira aucunement de leçon. Mais, cependant, vous voudrez l’enfermer.
S’il n’est pas fou, vous considèrerez sûrement qu’il faut le punir pour lui faire peur et lui enlever l’envie de commettre de nouveau un tel méfait. Et donc, l’enfermer.
Mais d’où tenez-vous que la punition aura un tel effet ? Y avez-vous seulement déjà songé bien tranquillement ? La punition est-elle une vengeance, et à quoi sert de se venger ? Ah ! Je les vois arriver, les réponses : à faire son deuil, à rétablir l’équilibre, la justice c’est cela !
Ou bien la punition est-elle une sorte d’arme de dissuasion, qui n’a rien à voir avec l’individu lui-même mais avec sa faute, son crime ? Une faute et un crime qui méritent une peine proportionnée à leur gravité et dont la hauteur est codifiée dans un livre de référence : le Code pénal. Quelque chose qui doit – ou devrait – faire peur aussi bien au primo délinquant qu’au récidiviste potentiel.
Bref, je cause, je cause, mais vous l’avez compris, ce type est le seul coupable et il nous faut l’enfermer tout de suite et pour quelque temps, qu’il soit fou ou pas !
Tiens, Roger, sois gentil, verse-m’en un autre, tu veux ?
Ce matin-là, l’atmosphère du marché de Briançon était pour le moins étrange. Depuis la place dévalait une cascade de chuchotements, dont les bruissements s’amplifiaient, puis se glissaient vers les rues de la ville, se répandant dans les rigoles, aussi sûrement qu’une pluie drue de novembre.
– Vous vous rendez compte, dit la crémière, la Comtesse de Sainte-Croix est morte cette nuit !
– Mais elle a près de quatre-vingt-dix ans, c’est un âge honorable pour rendre son âme à Dieu ! répondit la cliente, une accorte paysanne en fichu.
– Vous n’y êtes pas du tout ! Je ne vous parle pas de la mère, mais d’Agathe, la jeune épouse du Colonel de Sainte-Croix qui commande le régiment de hussards.
– Mais c’est affreux ! Une si belle et aimable personne ! s’exclama la femme du notaire, qui attendait pour acheter ses fromages à la crème favoris. Mais que lui est-il arrivé ?
– Figurez-vous qu’elle est tombée du Pont du Diable !
– Le Pont du Diable !!! s’exclamèrent les clientes proches du comptoir, tandis que celles du fond se pressaient pour capter cet échange qui semblait fort intéressant.
La charcutière, qui n’avait pas la langue dans sa poche, leva le nez de ses cochonnailles et s’adressa à la crémière :
– Que chantes-tu là ? Elle n’est pas tombée, on l’a poussée !
– On l’a poussée !!! s’écrièrent les clientes de la crémière et de la charcutière, tel un chœur antique.
– Mais qui a fait ça et pourquoi ? s’enquirent les plus vives en se tournant vers la charcutière.
– Et bien, c’est Joseph le berger…
– …Il dit que Dieu a guidé sa main, afin de rendre justice, ajouta le charcutier, coupant la parole à sa femme. J’ai entendu dire aussi, qu’il lui aurait barré la route et demandé de l’argent pour passer.
– Fou de Dieu ou pas, on aurait dû le laisser à l’asile, dit un ramoneur. Les médecins n’ont pas fait leur boulot !
– Mais pourquoi a-t-il fait cela ? demanda une jeune fille tremblante d’émotion.
– Figurez-vous que c’était une femme adultère, répondit la charcutière.
– Une femme adultère !!! Le chœur antique enfla, les remparts de la citadelle Vauban ressemblaient de plus en plus à un amphithéâtre grec : Mais avec qui et pourquoi tromper un homme comme le Colonel de Sainte-Croix ?
– Un bel homme qui a trente ans de plus que sa femme, dit une jeune blanchisseuse en robe légère. Tout galonné qu’il soit, je n’en ferais pas mon petit déjeuner, surtout avec la Reine-Mère qu’il faut supporter matin, midi et soir !
– Un peu de respect ma petite Lisette, et surveillez votre langage, dit l’institutrice en chaussant ses bésicles. Néanmoins curieuse, elle reformula la question :
– Alors, sait-on en quelle galante compagnie était la Comtesse ?
– Mais certainement Madame Ledoux, avança un homme en blouse blanche. C’était le pharmacien, qui était sorti de son officine. Il s’agit de Monsieur Huet, un nouvel administrateur à la Préfecture. La comtesse était allée passer la nuit chez lui, au-delà des fortifications. Elle devait absolument rentrer avant l’aube, avant le retour du régiment de son mari. Lorsque Joseph lui a barré l’accès du pont, elle a couru le supplier de l’aider, mais il a préféré rester sous sa couette.
– Un jeune fat qui prend tout à la légère ! dit le notaire d’un air sévère, en rajustant son col dur.
– Mon cher Pelloux, vous pourriez rajouter que ce jeune homme ne tenait pas à être vu avec sa maîtresse, il craint trop pour son avancement, compléta perfidement le médecin qui se rendait à son cabinet et s’était arrêté en chemin en voyant l’attroupement.
– Mais quel manque de charité ! reprenait le chœur des femmes.
– Il ne devrait pas vraiment l’aimer, dit la petite jeune fille triste, en triturant son mouchoir. Mais il n’y a personne d’autre qui ait pu secourir cette pauvre Comtesse ?
– Il paraît, dit le médecin, qui était socialiste et franc-maçon, que la Comtesse avait sollicité l’aide du Père Vuibert, dont le presbytère se trouve de l’autre côté du pont.
– Un homme de Dieu doit venir au secours de toute âme, fut-elle en perdition ! s’indigna la femme du pasteur.
– Pour être homme de Dieu, il n’en est pas moins homme, répliqua le médecin. Figurez-vous qu’il est entré dans les ordres parce que la belle Comtesse lui avait refusé ses faveurs ! Elle est belle la charité chrétienne !
– Il n’empêche que la luxure et le mensonge sont des péchés capitaux ! s’indigna une petite femme vêtue de noir de pied en cap.
– Ça risque pas de vous arriver ! se gaussa le ramoneur qui s’enfuit en riant pour éviter les coups d’ombrelle de la bigote.
– Allez, circulez ! intervinrent deux gendarmes du haut de leurs chevaux, Ou nous fermons le marché ! Ordre de Monsieur le Préfet !
Quelques mois plus tard, un chanteur des rues vint installer son orgue de barbarie sur la place. Attiré par le singe en livrée rouge qu’il portait sur l’épaule, les passants s’attroupèrent autour de lui. Par-dessus le ciel bleu et les montagnes encore enneigées, s’éleva sa chanson :
Oyez, oyez, bonnes gens la complainte de la belle dame du pont :
Belle dame, du pont maudit tu fus jetée,
Le fou de Dieu, coupable désigné
Sur la place fut guillotiné,
Pour que dorment sur leurs oreillers
Les messieurs qui l’ont négligée :
Le barbon qui l’a épousée,
Le père cupide qui la lui a accordée,
Son jeune amant, de lui seul infatué,
Le curé amer, de jalousie rongé…
L’affaire du pont
Ouvriers, employés de la halte fluviale retrouvent chaque soir vers 19h30 quelques bateliers au Bar du Port. Devant un blanc sec ou un pastis, les demis, c’est pour l’été sur la terrasse, les conversations vont bon train. Évènements politiques, sportifs, ou faits-divers commentés avec le même enthousiasme chauvin, tout est bon pour animer la flamme des discussions parfois ardentes. Le boulot, c’était avant, la famille, ce sera après. Sans être tabous, ils ne sont pas au hit-parade.
Les tringles du carillon tintinnabulent à l’ouverture de la porte. La tenue de l’homme, caban ouvert sur une marinière, casquette nantaise légèrement rejetée sur la nuque témoigne clairement de sa profession.
— Salut ! la marinade.
— Tiens, en voilà un qui t’en dira plus.
Notre marin n’a pas le temps d’approcher ses lèvres du jaune que Gino lui a servi d’office, déjà tous font cercle autour de lui. Gilbert le premier ose :
— Alors, parait que t’as eu d’la visite ?
— Eh bé ! Les nouvelles vont vite !
— Tu penses bien qu’ils sont passés au Bureau. Des fois que t’aurais pas été en règle ? Tu sais que dans ces cas-là, le moindre détail compte pour eux. Ils ne laissent rien échapper.
Il prend le temps de lever son verre à la ronde comme pour dire “À votre santé”, se délecte d’une petite gorgée. Le claquement de langue appréciateur libère la parole de l’entourage toujours prêt à médire des cognes et soutenir le copain.
— Qu’est-ce qu’y t’ voulaient ?
— T’y es pour rien toi.
— Y f’raient mieux de chercher là où y faut !
— Ils ont été corrects ?
— Y t’ont pas maltraité au moins ?
Il n’échappera pas au compte rendu. La meute ne le lâchera pas. Mominette en main il se retourne face à son auditoire.
— Hermann Darain, vous êtes le passeur ? m’a demandé le major.
— Pour vous servir, que je lui réponds.
— Là n’est pas la question. Vous êtes au courant…
— Oh ça, le courant je le connais, le montant, le descendant depuis vingt ans que je…
— Trêve de plaisanterie. Nous sommes là pour l’enquête judiciaire sur l’affaire du pont.
— Ah ! Bon… v’là aut’ chose, que je me dis. Le gendarme qui l’accompagnait a sorti un calepin de sa poche et a commencé à écrire.
— Vous êtes la dernière personne qui a vu la victime vivante.
— C’est à dire… Il y en un autre qui l’a vue après moi…
— Oui. À l’exclusion de celui-là, votre témoignage sur les faits tels qu’ils se sont déroulés revêt la plus haute importance. Il dit à son adjoint prenez la déposition, et à moi, soyez le plus précis possible.
— Il n’était pas encore sept heures. Je sortais du poste de pilotage de la Jeannette quand j’ai vu cette femme descendre en courant de l’estacade sur le ponton. Là, tout essoufflée, elle me raconte une histoire d’un fou qui l’empêche de passer sur le pont, l’a menacée, qu’il faut absolument qu’elle rentre chez elle, que son mari va rentrer… Pas de problème, on est là pour servir le client, mais quand je lui dis que le tarif pour passager unique à la demande est de 25 euros…
— Je n’ai pas d’argent sur moi. Je vous en supplie amenez-moi de l’autre côté.
— Sans paiement, ce n’est pas possible, madame.
— Je suis partie hier soir en vitesse, je n’ai rien pris avec moi mais je vous paierai je vous assure. Ayez pitié de moi, je suis en danger.
— Vous comprenez bien messieurs, ce n’est pas avec de belles promesses que je peux nourrir ma femme et mes gosses. Dans ce métier de gagne-petit, avec les taxes, le carburant, les droits de navigation et d’accostage qui augmentent sans cesse, si on se laisse embobiner par les quémandeurs de toute sorte, ce sera vite la faillite.
— Donc vous n’avez pas donné suite à sa demande ?
— Je lui ai conseillé puisqu’elle avait passé la nuit sur cette rive de revenir demander une avance à ses hôtes. Elle n’a pas longuement insisté, elle a tourné les talons en maugréant sur mon incompréhension.
— Et vous l’avez vu revenir…
— Oui, environ deux heures plus tard.
— Toujours sans argent.
— Il n’y avait plus personne, m’a-t-elle dit. Sans argent et sans papiers, comment la retrouver plus tard ?. Peut-on faire confiance sur la seule bonne mine des gens ?
— Vous êtes resté inflexible.
— La Jeannette avait fait le plein de voyageurs. Nous étions sur le point de larguer les amarres.
— Alors vous pouviez l’embarquer au prix d’un passage ordinaire, cela lui aurait sauvé la vie, risque le gendarme.
— Ah je ne pouvais pas savoir que sa vie était à ce point en danger. Croyez-vous que l’on peut sans les mécontenter faire payer les uns en faisant un cadeau à d’autres ?
— Bien sûr, grommèle le major.
— Elle est repartie de son côté, nous du nôtre. La suite je ne l’ai connue qu’à mon retour, une heure plus tard. Je suis désolé de ce qui est arrivé, mais hors ses dires rien ne pouvait m’alerter du danger qu’elle courait. Au contraire même son histoire de fou sur le pont et son excitation me donnaient à penser qu’elle n’était peut-être pas très bien dans sa tête.
— Je vous remercie, m’a dit le major. Il a demandé le carnet, a relu mes déclarations, ajouté “lecture faite, persiste et signe.” J’ai signé. Voilà, c’est tout.
Le cercle jusque là attentif et silencieux se disloque. Les conciliabules reprennent par petits groupes. Hermann savoure la tournée du patron. Gino soigne sa clientèle.
Enquête dirigée par Madame Salomonée Dantigone Juge d’Instruction sur le meurtre de Bethsabée Lehittite. 2 avril 2020. En présence de Madame Julie Lombrosini, Greffière.
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Attendu que nous avons retenu tous les témoins susceptibles, Nous, Juge Salomonée Dantigone, ouvrons ce jour cette enquête.
— Triste affaire Mme La Greffière.
— Triste affaire Mme La Juge.
— Faites entrez le premier témoin.
— Eric Tournebroche. 35 ans. Que savez-vous sur Bethsabée Lehittite?
— Mme La Juge, mon immatriculation, vous l’avez sous les yeux. Quand je lui ai demandé de former un couple, elle a répondu qu’elle avait mieux à se mettre sous la dent. Elle disait que je puais les déchets en fermentation. ‘’Tu pues l’ail et le cochon!’’. Vous comprenez, je suis mandaté par la société de ramassage des déchets de la Ville. Horaires et trajets fixes. Un circuit branché sur smartphone en continu en cas d’urgence. Pas une seconde à perdre avec mon camion et les bennes à vider. J’ai pas envie de me faire vider par ma société qui paie bien. Surtout qu’avec Natacha, on s’est épousés depuis 5 ans, on se construit à l’Extérieur une jolie petite villa 5 pièces, avec jardin. Pas un sou à jeter par les fenêtres. Surtout pas à cette coquine. Inadmissible!
— Très bien. Restez cependant à notre disposition pour complément d’enquête.
— C’est vrai qu’il pue. On se paie un jus de coco frais? En attendant le prochain témoin?
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— Jean Pennerosa. Que pouvez-vous nous dire sur Bethsabée Lehittite?
— On venait de passer trois excellentes nuits. Parmi d’autres. Au matin elle me quitte. ‘’La semaine prochaine Il rentre d’une expédition. Cinq mois d’absence, c’est un peu longuet. Je dois me tenir prête. Coiffeur-Manucure-Lifting-stretching. Tutti quanti. Pas de temps à perdre. Avec lui rien ne doit être laissé au hasard’’. Le temps d’une douche, d’un coup de peigne, elle se regarde dans la glace. ‘’Ça se voit pas encore que je suis enceinte de trois mois’’. Elle rentre chez elle. Passe une demi heure. Elle sonne. ‘’Tu peux me refiler 70€? J’ai pas un sou de monnaie pour le taxi-navette’’. ‘’Désolé ma chère. Pas un rond en liquide. Va frapper ailleurs.’’ Plus, c’est pas la première fois qu’elle me faisait le coup non remboursé du porte-feuille oublié. Elle voulait pas de plus me faire endosser la paternité du môme? Plus, je viens d’être limogé. Ma boite, montages pièces métalliques pour carrosseries blindées anti-chocs ferme, faillite. Je cherche un nouveau job. C’est dur Mme La Juge.
— Restez à notre disposition. S’il vous plait. Pour complément d’enquête.
— Mme La Greffière avez-vous bien noté? Le plus petit indice prend de l’importance dans une instruction de ce genre.
— Un café? Pour se remettre Mme La Juge?
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— Faite entrer le suivant.
— Le dernier à avoir vue Bethsabée avant la date fatidique, Hugo Roller.
— Mme La Juge, avec tout le respect que je vous dois, je bois parfois un peu trop que raison. Avec une monnaie offerte, un petit chanvre au pied de l’église quand je déprime. Mais je ne suis pas fou au point de saigner une dame et passer la fin de mes jours en tôle.
— C’est bon. Laissez vos coordonnées si besoins d’enquête approfondie.
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.— Voyons la suite Mme La greffière.
— Urie Lehittite. Le conjoint à la barbe de 10cm. Une tradition dans leur Unité.
— Madame La Juge pour vous servir. Je suis Urie Lehittite, avec 2 t au milieu. J’étais détaché en mission secrète, corps spécial de reconnaissance au Moyen Orient. L’État-Major confirmera mon état de prestations. 15 ans de loyaux services. 10 médailles et galons. Je vous les ai amenés. Défilé, grande tenue blanche, gants à crispin, manchons de protection, tablier de cuir fauve, hache sur l’épaule droite. Vous pouvez à ma garnison en référer au capitaine en chef de mon régiment. J’ai noté sur cette feuille tous les détails, photocopie signée. J’ai demandé et reçu une dérogation spéciale pour faire face à cette fâcheuse situation. Un camarade de régiment renonce à ses congés afin d’assurer le service. Je n’aurais jamais poignardé une Femme. Ma femme. J’étais pas encore rentré quand ça c’est fait. Mon État-Major confirmera.
— Notez bien. Chaque détail compte Mme La Greffière. Vous avez entendu comme il claque les talons et salut à la tempe avant de sortir?
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— Mme La Juge vous avez convoqué David Layonnebez, capitaine du conjoint. Pour confirmation d’enquête.
— Il faut donc prendre des gants blancs.
— Mme La Juge, précautions, car nous pourrions avoir toute la Légion au garde à vous devant les portes du tribunal de Grande Instance.
— Capitaine David Layonnebez, qu’avez-vous à déclarer sur le meurtre de Bethsabée Lehittite?
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Silence. Confusion. Effondrement.
— J’ai trahi les lois de notre Armée. Je connais avoir enfreint Notre Drapeau par amour pour la belle Bethsabée et par jalousie. Pour ce faire j’ai envoyé notre valeureux caporal Urie Lehittite dans les terribles endroits de notre planète dans l’espoir qu’il y trouve la mort. Au sein de notre Pays je me déclare coupable. Je vais rendre mes galons.
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Monsieur le juge
Mr le juge, au regard de la grande tristesse et de l’abattement qui m’habitent, vous me voyez contraint de comparaitre devant vous dans le cadre familial concernant ma défunte épouse.
Très sollicité en tant que voyageur commercial, j’effectue des déplacements fréquents d’une part.
D’autre part mon entreprise en restructuration modifiait récemment mon secteur d’intervention, m’imposant de multiples itinéraires plus éloignés que précédemment de mon habitation.
Dans ce contexte, on m’informe du décès tragique de ma conjointe.
Vous avez fourni l’état détaillé de votre dernière activité. Veuillez redéfinir les lieux et horaires exacts de l’endroit où vous vous trouviez en soirée du vendredi 24 veille du drame.
Mr le juge, comme je l’indiquais aux enquêteurs me questionnant sur le sujet, le dernier rendez-vous prit fin à 18 h., dans la ville de Blois distante de 500 kms de mon village .Vu le retard, l’éloignement et l’état peu praticable des routes en cette saison, je décidais aussitôt d’en informer ma femme, ce que je fis. En son absence je lui laissais un message informatif où je mentionnais que j’allais coucher sur place. Elle me rappela ultérieurement vers 20h., nous échangeâmes normalement, nous souhaitant mutuellement une bonne nuit.
Comment se fait-il que madame, un vendredi soir, alors qu’elle n’exerce aucune profession, en fin de semaine et que vous terminez la vôtre, se trouve absente du domicile ?
Mr le juge, il arrive que mes tournées durent et dépassent l’horaire prévu, auquel cas elle dispose de ses soirées comme bon lui semble. Elle sortait du cinéma ce soir-là lorsqu’elle me rappelait. Nous partagions l’un vis à vis de l’autre une confiance totale.
Comment expliquez-vous alors sa relation avec Mr Dorat que celui-ci définit comme suivie ?
Mr le juge, voici quelque temps certaines de ses paroles m’avaient donné à penser qu’elle vivait une relation que Mr Dorat décrit comme telle. La renommée de Mr Dorat tourne autour de son caractère séducteur que tout le monde y compris ma femme connaissait, de son aspect hâbleur. J’ignorais son égoïsme qui ne l’honore guère. De mon côté je favorisais parfois quelques rencontres brèves . Ce qui n’avait aucune incidence sur la relation préexistante avec la femme qui partageait ma vie .
Qu’auriez-vous à dire concernant Mr Par , passeur de son état ainsi que sur Mr Ruton auteur du crime ?
Mr le juge, Mr Par intègre depuis quelques mois seulement notre commune, en recherche d’un emploi nécessaire comme chez nous tous. Quant à Mr Ruton j’ignore qui il peut être.
Pourriez-vous émettre un avis sur Mr Saur duquel madame semblait proche ?
Mr le juge , Mr Saur fêtait avec Pétronille son entrée en école de commerce. Je le rencontrais par la suite alors qu’elle y poursuivait des études. Elle appréciait sa compagnie tout en dénonçant un sens aigu de la morale qui parfois la choquait.Son refus de lui donner l’argent qu’elle lui quémandait dans les circonstances évoquées me surprend toutefois . Je l’aurais pensé moins ancré dans cette intransigeance au nom de principes comme il semble le dire… Possiblement mû par une jalousie sous-jacente dont nous plaisantions parfois. Je terminerai en vous disant que j’aimais ma femme . Je vous le redis, Mr le juge , j’avais une totale confiance en Pétronille et je me trouve actuellement dans une profonde détresse.
Ce sera tout, je vous remercie .
Une énigmatique affaire
Daniel Lémiche poussa la porte du bar «Le bout du pont», traversant la salle il salua le barman d’un signe de la main. «Bonjour commissaire». Lémiche s’approcha de la table où était assis Hubert Lahune, il posa son imper sur le dossier d’une chaise voisine et s’assit. « Tu prends un gnac avec moi ? » lui demanda Lahune qui réchauffait son verre entre ses mains. Lémiche acquiesca d’un petit hochement de la tête. «Gérard, un gnac pour le commissaire !». «Un Arma ou un Co ?» «Un Co bien sûr !».
«Alors cette enquête ?» interrogea Lahune.
– En gros tu connais le déroulement des faits, qui ont été assez rapidement établis. Mais c’est compliqué, on tient l’assassin mais on ne tient pas encore le coupable.
– Attends, Daniel, qu’est-ce que tu racontes ? Je ne te suis pas, là !
– L’assassin est un cinglé. Il a tout raconté par le détail mais les expertises psychiatriques seront formelles et il sera déclaré irresponsable de ses actes.
– Donc pas de coupable !
– Pas si simple ! C’est bien de la déduction de journaliste ça ! Et si le cinglé avait été manipulé ?
– Vous avez des soupçons ?
– Bon, alors on fait comme d’habitude, Hubert, je ne te cache rien, mais dans « Le Col Vert de la Giselle » tu ne publies pas ce que je te demande de ne pas publier
– On a toujours travaillé en confiance Daniel, tu peux compter sur moi.
– Le cinglé d’abord. Apparemment il ne dissimule rien. Il s’était posté à l’entrée du pont sur la Giselle, et à chaque passant il posait une énigme, la résolution de l’énigme permettait le passage. Tout le monde prenait ça à la rigolade car les énigmes étaient très faciles et adaptées au passant. Certains mêmes s’amusaient à passer plusieurs fois. Sauf que quand Anne-Lise Syntès s’est présentée au petit matin, il lui a sorti un problème impossible ! Alors Anne-Lise n’a pas voulu prendre de risque, car le jeu c’était évidemment le passage ou la mort, et le cinglé devait quand même lui ficher un peu la trouille. Tu connais la suite de l’histoire, n’ayant aucune autre solution et commençant à paniquer elle est revenue vers le pont, le fou lui posa la même question, bien sûr elle répondit faux et il la précipita dans l’eau gelée de la Giselle.
– Je vois et la question est « Pourquoi un problème si ardu pour Anne-Lise alors que les autres n’avaient que des questions très faciles»
– Voilà ! Et avoue que c’est quand même troublant.
– Et connait-on le problème posé
– Oui, mais personne n’en comprend l’énoncé. Attends c’est Amédé qui m’appelle, je réponds… Quoi ? J’arrive tout de suite.
– Du nouveau ?
– Le coupable vient de se dénoncer
– Qui ?
– D’accord, mais là dessus motus pour le moment
Et Daniel Lémiche glissa quelques mots dans l’oreille d’Hubert Lahune, qui écarquilla les yeux.
– Pour moi il était le premier sur la liste des innocents
– Salut ! Je te laisse les consos.
Lémiche retraversa la salle à grands pas « Au revoir commissaire », puis la rue et s’engagea juste en face sur le pont . En contrebas la Giselle roulait son flot glacé. « Même en sachant nager elle ne s’en serait pas sortie » se dit-il en revoyant la silhouette d’Anne-Lise, une très belle femme que tout le monde connaissait et admirait dans la petite bourgade. En quelques pas il parvint au commissariat, et avait rejoint la pièce où l’attendait assis l’homme qu’il reconnut tout de suite.
– Bon, commissaire, je croyais vraiment avoir commis le crime parfait en manipulant Antoine. Le meurtre devait être mis au compte de sa folie et de plus il n’aurait pas eu à en subir les conséquences. Mais j’avais oublié un détail qui m’aurait trahi à coup sûr, alors j’ai préféré venir tout vous dire, ça me coûtera peut-être moins cher.
– Mais pourquoi avoir voulu supprimer Anne-Lise Syntès ?
– Elle m’obsédait commissaire ! Je n’en pouvais plus de la passer au petit matin, alors que je savais d’où elle venait, lascive, alanguie, le regard encore plein des jouissances de la nuit. Avec moi elle jouait de son charme et ne me payait jamais. J’étais fou amoureux mais c’était un jeu de dupes. Ça ne pouvait plus durer, je devenais dingue.
– Alors avant de devenir tout à fait dingue vous-même vous êtes allé raconter des salades à Antoine pour le conduire jusqu’à la mort d’Anne-Lise
– Oui, commissaire, c’était un bon plan non ?
– Et qu’est-ce qui a cloché ?
– Avec Antoine nous nous sommes connus à un stage d’énigmes et de jeux logiques, il y a très longtemps. A l’époque il allait encore bien. Je suis passeur, vous savez que les passeurs, comme les gardiens de pont d’ailleurs, jouent un rôle important dans les énigmes. Rappelez vous celle du loup, de la chèvre et du chou. Ce stage a été oublié de tout le monde sauf qu’en revoyant la liste des participants ce matin j’ai découvert avec horreur le nom de d’Huyres Amédé, votre nouveau collaborateur qui vient d’être muté ici.
– Et alors ?
– Alors, je l’avais complètement oublié, c’était un aristo sympathique, un des meilleurs dans le stage. Sûr qu’au fil de l’enquête il aurait trouvé très vite le lien et résolu l’énigme de l’assassinat d’Anne-Lise Synthès.
– Le lien peut-être mais aucune preuve formelle contre vous.
– Oui, mais je sais que j’aurais craqué tout de suite. Que voulez-vous devant un beau raisonnement, on ne peut que s’incliner.
L’adjointe au maire a été assassinée ! Incroyable !
Le salon de coiffure était en pleine ébullition ce matin. Un vrai poulailler.
– Elle était prétentieuse et vulgaire
– Une briseuse de cœur.
– Une vraie flemmarde, oui ! 2 km plus en amont il y avait le pont vieux elle aurait pu l’emprunter mais non ça faisait trop loin ! La couleur, la même que d’habitude ?
– Oui Joëlle, la même, merci ! C’est assez intéressant quand on y pense, elle qui a toujours voulu faire taxer le passage du pont…
– Mais pourquoi Basile lui a fait ça ?
– Mais Basile, enfin, vous savez, Basile Dupont, il l’a toujours eu en travers. Elle lui a pris sa place à la mairie en l’accusant de corruption, de détournement d’argent public, ça l’a rendu fou et depuis, il vivait… sous le pont. Annette, tu viens préparer la couleur de Mademoiselle Justine ?
– Et son amant là, le…
– Oui comment il s’appelle …
– Ah mais si, tout le monde l’appelle Boy.
– Pourquoi Boy ?
– Parce qu’il est le boy du maire.
– Oui mais c’est son fils ?
– Mais non, son Boy quoi, son homme à tout faire, son bras droit, un taiseux mais son homme de confiance.
– Donc Boy est son amant ?
– Oui enfin était. Pas mal, hein ? Elle avait bon goût quand même… 2 mètres au garrot et 80 kg de muscles, belle bête de concours je dis.
– Mais il parait qu’il n’a pas voulu l’aider à payer Basile pour passer le pont.
– Il aurait pu sortir de chez lui et régler le compte de Basile, non ?
– Oui ou alors il y a eu malentendu : mettez-vous à la place de Boy : après leur première nuit torride, elle lui demande de l’argent, il l’a peut-être mal pris… Bon allez on passe au bac.
– Et le passeur ? Enfin quand même, il savait que Basile n’attendait que ça pour pouvoir se venger. Il aurait pu l’aider à traverser.
– Ouh là mais non ! Il ne l’aurait jamais aidé, il y a un passif entre eux deux. Il y a des années de cela, elle lui a fait des avances qu’il a refusées. Depuis c’est la guerre. Lorsqu’il a épousé sa femme, il a demandé de louer la salle des fêtes, ça a été refusé, il a demandé une place en crèche, refusée ! Puis une place pour sa fille en colonie de vacances, refusée à chaque fois on lui répondait qu’il n’y avait plus de place. Il se défendait et proposait de régler ses taxes en avance, il parait qu’elle lui aurait répondu que là, c’était elle qui refusait ses avances. Pas trop chaude la température ?
– Non c’est parfait. Hum, mais quelle rancune !
– Oui c’était peine perdue… mais j’entends quelqu’un pleurer. Vous entendez aussi ?
– C’est mon frère, c’est Antoine. Il est dans l’arrière-boutique, anéanti. Lui qui était amoureux d’elle depuis des années, qui la défendait toujours et qui pourtant n’a jamais pu coucher avec elle, le pauvre. Il a vu la scène.
– Quoi ? Il a vu le meurtre ?
– Et alors, il y avait du sang ?
– Mais non, il l’a vu elle avec Boy, il les a vus copuler par la fenêtre ça lui a flanqué un sacré coup. Surtout qu’après elle est venu lui demander de l’argent sans rien lui cacher, quel manque de délicatesse !
– Mais il sait qu’elle a été assassinée ?
– Heu non, pas encore. Je lui dirai plus tard. Je vous fais un brushing ?
– Ah mais je peux aller lui dire si vous voulez, Antoine est un garçon au cœur tendre, je m’arrangerai pour lui annoncer cela en douceur et puis j’ai toujours eu un petit faible pour lui.
– Eh bien je crois que nous allons finalement peu pleurer pour ce drame. Et pour le brushing ?
– Oui ok pour le brushing. Finalement, c’est elle toute seule qui s’est mise là-dedans quand on y réfléchit. Une succession de mauvais choix, de mauvais comportements et voilà. Retour de karma !
– Et son mari ? Edouard ? Il n’était pas en séminaire ou quelque chose comme ça ?
– Pffff alors Edouard n’était pas vraiment en séminaire puisque je l’ai vu pas plus tard que ce matin.
– Mais où ça Annette ? A l’hôtel du Grand Monarque avec une de ses assistantes ? Ou non tiens je sais, il sortait d’une boite de nuit ?
– Non pas du tout. Je suis passée voir Marco, mon grand frère, celui qui est Chippendale. J’avais des croissants tout chauds à lui donner -c’est son anniversaire aujourd’hui- et alors voilà, ils dormaient dans le même lit. Je me suis figée et je suis repartie sur la pointe des pieds, ils ne m’ont pas entendue.
– Bon moi je vais voir Antoine, à tout à l’heure les Filles.
– Et finalement le plus malheureux dans l’histoire c’est que personne n’est triste, Antoine ne le restera pas longtemps maintenant que Justine est avec lui et Basile s’est vengé. Ça fera 49,50 euros ; en carte bleue ?
Ô mon roi, je me languissais tant de vous…Tous vos voyages, à guerroyer loin de notre retraite. Tandis que vous partiez de longs mois, je mourais à petit feu. Ne l’aviez vous point vu ? Je n’étais plus que l’ombre de moi-même. De tant vous attendre, mon cœur de braise n’était plus que cendre…
Cette nuit là, ce n’était pas moi, mais la douce chaleur du soir, le parfum des jasmins odorants ou l’étrange pâleur lunaire, je ne sais plus… D’irrésistibles désirs de vie, d’amour m’entraînèrent hors de l’enceinte protectrice du château. Je courais, je volais, mes pieds nus dansaient sur les chemins de rocaille. J’allais frémissante vers l’appel de la nuit.
Il m’attendait, de l’autre côté de la rivière… J’y allais, heureuse et malheureuse à la fois, prise par cette force qui m’avait soumise, faisant voler en éclat tous nos vœux de fidélité.
Je ne repris mes esprits qu’à l’aube, et compris mon malheur. Les lueurs rouges et fébriles du levant m’emplirent de honte. Il me fallait vite rentrer et franchir à nouveau le pont. A la fois différente et la même, j’avais hâte de vous revoir, de vous accueillir.
C’est alors que votre fou, effrayé, me pris pour un fantôme égaré, et m’interdit violemment le passage du pont.
Prise de panique, j’allais trouver cet homme étrange assis sur sa barque, le long de la grève. Tel Charon, le passeur des enfers, il me demanda l’obole pour traverser. N’ayant rien à lui offrir, il ne daigna pas même m’écouter.
Affolée, je retournais vers cet homme , amant d’une nuit, le suppliant de m’aider, lui assurant qu’il serait remboursé au centuple. Mais celui-ci, espérant me tenir dans ses geôles, me refusa toute aide.
Il me restait pour seul espoir, ce vieil ami, chantre et troubadour, dont les yeux se languissaient visiblement de moi. Ses chants éloquents m’avaient troublée plus d’une fois, mais j’étais toujours restée froide et sereine. Je savais que sa demeure n’était pas loin. Il fut surpris, et me chassa, furieux pour cet amour qu’il me vouait et que j’avais trahi, déçu.
Désespérée, je retournais alors auprès du passeur tentant un dernier arrangement, lui promettant une once d’or dès mon retour, mais celui-ci demeura insensible à mes prières.
Le jour se levait, je ne pouvais attendre davantage et décidais de forcer le barrage du fou.
Pris de panique, il me jeta du pont.
Depuis ce jour, une pauvre hère se promène et se lamente indéfiniment le long de la rivière, c’est mon âme sans repos. Ecoutez bien le chant de la brise et des oiseaux. Ils vous raconteront l’histoire de la malheureuse reine Hildegarde.
Ô mon roi, ce n’était pas moi, mais la douce chaleur du soir, le parfum des jasmins odorants ou l’étrange pâleur lunaire…
SK
Merci à vous toutes, merci à vous tous, je me suis bien régalé en lisant vos petites histoires.
Quelle variété et quelle imagination ! Comme on dit, “Vous en avez sous la pédale !”
Nous donnerons peut-être un jour une suite à cet atelier, ce serait dommage de ne pas exploiter toute cette belle matière !
Mais en attendant nous reviendrons vers vous dès ce soir pour d’autres aventures.
Encore bravo !
Bonjour à vous toutes et à vous tous, et merci de votre participation !
Cet atelier “Passer le pont” est prolongé avec de nouvelles consignes : https://www.oasisdepoesie.org/ecrire-ensemble/jeux-decriture/hermano/atelier-decriture-passer-le-pont/
Vous les trouverez en haut de page, à la suite des consignes du 1er avril : Atelier en ligne à partir du 18 avril…
Il n’est pas nécessaire d’y avoir participé au premier tour pour jouer dans cette suite ! Vous pourrez poster vos textes dans la boîte de commentaires ci-dessus et ils apparaitront … ci-dessous, à la suite ! Magique ! Non ?
En espérant vous lire tous très bientôt !
Les tringles du carillon tintinnabulèrent à l’ouverture de la porte du château. Il était minuit, par une nuit claire et parfumée de juin. Hermine comprit immédiatement que la visiteuse qu’elle attendait depuis son enfance était enfin là, car il flottait dans l’air quelque chose de surnaturel. Était-ce la douce chaleur du soir, le parfum des jasmins odorants ou l’étrange pâleur lunaire ? Bientôt, l’oreille aux aguets, elle perçut une cascade de chuchotements, dont les bruissements s’amplifiaient, puis dévalaient l’escalier d’honneur en marbre de Carrare.
Enfin elle était là ! Comme elle avait mis du temps à venir ! Était-ce l’éloignement ou l’état peu praticable des routes qui l’avait retardée ?
Peu importait, il fallait la recevoir comme une reine, prendre des gants blancs, lui préparer un thé délicat digne d’elle. Chaque soir depuis quatre-vingts ans, elle se tenait prête pour cet instant, chaque soir elle préparait le plateau de vermeil avec le service à thé en porcelaine fine, les cuillères d’argent ouvragées et les croissants dorés prêts à être réchauffés.
Cette nuit était LA nuit, Hermine se précipita à l’office aussi vite que ses jambes le lui permettaient. Par la fenêtre du salon une bourrasque s’engouffra et souleva la cape de ses longs cheveux argentés, la transportant au salon, tout comme le plateau doré qui volait dans les airs.
Là, sur le divan de velours bleu nuit parsemé d’étoiles se tenait sa visiteuse, nimbée de lumière. Sa voix s’éleva, claire et fraîche comme une source :
– Viens près de moi Hermine, je suis heureuse de te rencontrer.
– Oh noble dame, je suis heureuse aussi. Je vous attends depuis si longtemps !
– Oui, il est vrai que j’ai tardé à venir car ton sens aigu de la morale m’a parfois choquée. Tu es trop intransigeante Hermine, voilà pourquoi j’ai retardé le plaisir d’être en ta compagnie. Et cette intransigeance t’a conduite à une vie solitaire. Les humains sont imparfaits, chère Hermine, il faut les accepter tels qu’ils sont. D’ailleurs, n’es-tu point imparfaite, toi aussi ? N’était-ce point folie que d’attendre la perfection toute ta vie ?
À ces mots, Hermine se prosterna aux pieds de la Dame Blanche en se lacérant la poitrine : « Oh, belle dame, comme cela est cruel à entendre. À quelle aune mesurez-vous la folie d’une pauvre femme qui vous a dédié sa vie ? ».
La dame blanche prit Hermine par la main : « Relève-toi chère Hermine, ce n’est point péché mortel de t’être murée dans ton château à la recherche de la perfection. Tu as voulu bien faire, tes attentes envers les autres et envers toi-même étaient trop élevées et la vie a passé. Je suis venu te chercher pour t’emmener avec moi, toi et tes rêves de petite fille ».
La dame blanche passa doucement son doigt sur les paupières d’Hermine.
On retrouva celle-ci le lendemain matin, blottie dans le sofa bleu nuit et enveloppée dans ses longs cheveux d’argent. Un sourire flottait sur ses lèvres et la mort n’avait pas altéré ses traits.
On faisait équipe pour ramasser les poubelles depuis au moins trois ans et, avec Joël, nous partagions l’un vis-à-vis de l’autre une confiance totale. Un jour il conduisait la benne et moi je ramassais. Le lendemain, on changeait les rôles, et cela quatre jours par semaine. Un parfait équilibre des charges qui permettait à chacun de ménager ses lombaires…
Ce matin-là, c’était moi qui conduisait et je devais passer le chercher avec la benne. Il était très tôt mais le soleil était déjà bien levé car nous étions en juin. Il s’était posté à l’entrée du pont sur la Giselle pour m’attendre. Je trouvais que Joël était beau : la tenue de l’homme, caban ouvert sur une marinière, casquette légèrement rejetée sur la nuque, témoignaient de sa décontraction. Ajoutés à cela, son teint halé par le soleil du printemps et sa barbe de trois jours complétaient son charme.
Nous avions l’habitude de terminer notre tournée par le château. Il était bientôt 11 heures et il faisait déjà très chaud. Joël, son travail terminé, remonta dans la cabine qui s’emplit aussitôt d’une odeur de sueur. Je ne peux pas dire que je trouvais cette odeur désagréable ; ce matin-là, je ne sais pourquoi, je la trouvai troublante.
Eh bien, encore une de finie ! fit Jo en posant sa main gauche sur ma cuisse.
C’était un geste qu’il faisait tout le temps, me claquer la cuisse comme ça, comme on donne une grande bourrade dans le dos pour se féliciter du travail accompli, comme quand les joueurs de foot se sautent au cou après un but marqué. Mais ce matin-là, ce vrai matin-là, c’était différent… Oui, Jo avait sorti ses gants et laissait sa main traîner sur ma cuisse.
Dans la cabine de notre camion benne à ordures s’installait ce matin-là une sorte de volupté, et le contact de cette main sur ma cuisse me faisait frémir au point que je devais me cramponner au volant pour ne pas risquer l’accident. Mais qu’est ce qui nous arrivait ? D’irrésistibles envies de vie, d’amour, m’entraînaient. Hors de l’enceinte protectrice du château, la main de Jo se fit plus insistante. J’étais comme hors d’haleine et je me concentrais sur la conduite de la benne à ordures, en respirant silencieusement mais profondément pour garder le plus possible le contrôle de moi-même. Nous étions en retard ce jour-là et je savais qu’il n’y avait pas une seconde à perdre avec mon camion et les bennes à vider mais j’étais tellement troublé par cette main que je m’obligeais à ralentir pour ne pas risquer l’accident.
Nous repassâmes le pont sur la Gisèle… mes pensées s’affolaient : “Passer le pont, passer le pont… Quel pont étais-je en train de passer ?” Il me revint l’histoire du loup, de la chèvre et du chou que le bateleur doit faire traverser. Je me sentais tremblant comme celle qui allait connaître le loup ! Joël me massait maintenant la cuisse droite.
– Jo, lui fis-je en avalant ma salive, tu sais qu’avec Edouard c’est plus comme avant…
– Oui, je l’avais remarqué… Je crois…
– Je suis sûr qu’il me trompe, qu’il me trompe avec une femme ! Il m’a dit qu’il partait en séminaire à Niort ; tu sais qu’il est directeur d’une agence d’assurance ? Eh bien, Edouard n’était pas vraiment en séminaire puisque je l’ai vu dans la rue pas plus tard que ce matin ! C’était du côté de chez Sonia, quand je suis parti au boulot. De loin il ne pouvait pas me voir sur mon vélo, il avait le soleil dans les yeux, et puis j’ai tourné à gauche. Mais je suis sûr que c’était lui !
– Avec Sonia, tu crois ? Je pense que ce jeune-homme ne tiendrait pas à être vu avec une maîtresse ! il craindrait trop les commérages ! Ah le salaud ! Il mange à tous les râteliers, celui-là ! Y a plus de morale ! fit Joël sans toujours retirer sa main.
Je ne voyais pas trop ce que venait faire la morale là-dedans. Quelquefois, on voulait me faire confondre la morale et la justice… Et ne serait-ce pas justice si je trompais ce matin Edouard avec Jo ? Je vous le demande ! Oui…, c’était cela ! la main de Jo… était… peut-être…, sans doute…, la main de la Justice !
Alors, avec Jo, malgré notre grand retard sur notre horaire, avant d’aller vider à la décharge, on est descendus avec la benne jusqu’au bord de la rivière, en aval du pont. Il faisait doux sous les platanes. On a tiré les rideaux de la cabine du camion.
Depuis ce jour, un pauvre hère se promène et se lamente indéfiniment le long de la rivière, c’est mon âme sans repos.
Merci à :
Hermano : Veut-on me faire confondre la morale et la justice ?
Line : vous pourriez rajouter que ce jeune homme ne tenait pas à être vu avec sa maîtresse, il craint trop pour son avancement,
Geno : La tenue de l’homme, caban ouvert sur une marinière, casquette nantaise légèrement rejetée sur la nuque témoigne
Motus : Pas une seconde à perdre avec mon camion et les bennes à vider.
Mondo : Nous partagions l’un vis à vis de l’autre une confiance totale.
Chamans : Il s’était posté à l’entrée du pont sur la Giselle
Rappelez-vous celle du loup, de la chèvre et du chou.
Million : Edouard n’était pas vraiment en séminaire puisque je l’ai vu pas plus tard que ce matin.
Ska : D’irrésistibles désirs de vie, d’amour m’entraînèrent hors de l’enceinte protectrice du château.
Depuis ce jour, un pauvre hère se promène et se lamente indéfiniment le long de la rivière, c’est mon âme sans repos.
Oyez, Oyez, Bonnes gens !
Son vieil époux parti guerroyer de longs mois
Agathe tête à tête avec la douairière
dans le château ceint de murailles austères
n’avait pas l’occasion de connaitre la joie
Son irrésistible désir de vie, d’amour
l’entraine à passer la poterne de la tour
et rejoindre les bras chaleureux du galant
qui dans sa solitude est un bon amant
Hélas le bonheur sera de courte durée
lors du retour au logis dès potron-minet
Agathe doit sans tarder franchir la rivière
et rentrer avant le réveil de la belle-mère
Fou de la voir arriver lascive, alanguie
l’œil encore plein des jouissances de la nuit
le passeur amoureux se souvenant soudain
de sa disgrâce jadis noie la belle catin
Athanase de Sainte-Croix à son retour
au lieu de retrouver son attendu amour
découvre son infortune et son veuvage
le bourg n’est que chuchotements et commérages
Estimant bafoué l’honneur des Sainte-Croix
le colonel comte demande audience au roi
il revêt la grande tenue pour l’occasion
de capitaine honoraire de la Légion
Ô roi, pour qui j’ai vaillamment porté le fer
rend son honneur perdu à un vieux militaire
le passeur par la justice a été pendu
je n’en suis pas moins dans l’affaire le cocu
Le monarque n’a jamais jugé d’un tel cas
il avoue humblement être dans l’embarras
trop tard pour envoyer feue la belle comtesse
quérir un lot de pénitences à confesse
Sire, dit le fou à la langue bien pendue
puis-je te suggérer une idée de mon cru ?
Oyez, cria le héraut du roi la pécheresse
est ce jour déchue de ses titres de noblesse.
Passer le pont – Atelier 2
Le moins étrange dans une cascade de chuchotements,
c’est de capter cet échange.
Triture ton mouchoir,
vautre-toi dans la luxure
ou dans tes fortifications de mensonges,
demande à Dieu de guider ta main…
Les tringles des carillons ne tintinnabuleront point.
A petites gorgées, le silence se délecte
montant, descendant
dans la bonne mine des gens.
Toujours pas de chuchotements dans le vent.
Pas un sou à jeter par les fenêtres,
pas de temps pour te perdre
même si tu deviens fou,
claque les talons,
claque les paroles…
La cascade garde sa source.
Dans le col vert de la Giselle
réchauffe-toi, un dernier verre…
Le cerveau en ébullition !
Se venger d’une abstention ?
La nuit devient torride.
Je vous fais un brushing ?
Des lueurs rouges et fébriles en fantômes égarés
dont les chants éloquents comme un prêt à porter,
attendent l‘ombre de toi-même
sur ces chemins de rocailles
où s’enfuit la cascade.
Alors, t’as toujours pas capté
l’échange près de la rocaille ?
Ophenix 24/04/2020