Juillet 2023
Ce mois-ci nous vous proposons de prendre la plume.
De prendre la plume, ou plutôt le clavier pour écrire une ou plusieurs lettres.
On a trop souvent malheureusement perdu l’habitude d’écrire des lettres, des lettres bien pensées, bien soupesées, pour lesquelles on a réfléchi aux mots employés, dont on sait qu’elles seront lues souvent avec émotion et souvent aussi conservées pendant des lustres, quelquefois pour toujours.
Alors, ce mois-ci, vous trouverez ci-dessous 2 lettres que vous venez de recevoir.
Choisissez-en une pour y répondre, mais avant cela choisissez aussi une posture :
1 – Vous êtes bien le destinataire de la lettre
ou bien
2 – Cette lettre vous a été adressée par erreur, vous n’en êtes pas le destinataire mais vous décidez tout de même d’y répondre.
Après avoir choisi une lettre et une posture, rédigez votre réponse et publiez-là ci-dessous dans la boîte de commentaires.
Avant le texte de votre lettre, merci d’indiquer si vous êtes vraiment le destinataire ou si c’est une erreur.
N.B. Bien sûr, vous pouvez rédiger plusieurs réponses en changeant de lettre et/ou de posture.
Première lettre :
Bonjour Nicolas,
Je ne sais pas si vous vous souviendrez de moi. Notre ami commun, Sébastien, nous a présentés l’autre soir lors de cette petite fête organisée autour de sa piscine. En chemise rouge, c’est moi qui m’occupais du barbecue.
Pendant toute la soirée, je vous ai observé à la dérobée car il me semblait déjà vous connaître sans arriver à me rappeler quand et où je pouvais bien vous avoir rencontré. Maintenant, je me souviens : c’était il y a bien longtemps à la fac de lettres.
Je dois dire que vous n’avez rien perdu de cette faconde qui vous attirait alors tant de succès féminins, ni rien perdu dans vos discours de cette arrogance légèrement condescendante qui me dégoûtait alors. Et c’est bien ce même sentiment que j’ai senti affleurer de nouveau en vous écoutant pérorer l’autre soir.
Je vous ai trouvé vraiment pathétique avec votre sourire Monoprix toujours affiché sur vos belles dents Email Diamant, avec votre manière d’évoquer votre Porsche avec détachement, et avec vos regards berlusconiens de propriétaire pour cette bimbo qui vous accompagnait samedi soir. Des choses qui ont déclenché en moi un peu de jalousie, pourquoi ne pas le dire, mais aussi un profond sentiment de rejet et d’écœurement. Oui, Nicolas, vous êtes pathétique avec vos manières de vieux beau et vous m’avez magnifiquement gâché cette soirée qui aurait pu être vraiment douce.
Voilà, Nicolas, ce que je tenais à vous dire car je suis arrivé à un âge où il ne faut plus se priver d’énoncer ses aigreurs ni de dénoncer sans ménagement des individus tels que vous, cela sous peine de finir névrosé. Je sais ce que vous pensez, mais je préfère finir vieux con que vieux beau !
Dans l’espoir de ne plus vous croiser.
Pierre.
Deuxième lettre :
Julie,
Comme promis, je vous adresse ce petit mot pour reprendre contact et aussi pour vous dire combien j’ai apprécié votre compagnie lors de cette conférence la semaine dernière, alors que nous étions par hasard assises l’une près de l’autre.
Je dois vous dire que j’ai particulièrement aimé vos interventions et vos questions à propos des droits des femmes. Il m’est à moi aussi intolérable de constater toute l’hypocrisie des mâles présents ce soir là qui, sous couvert d’apparentes bonnes intentions et de paroles lénifiantes, ne cherchent qu’à se cramponner à leur statut, à conforter et perpétuer pernicieusement une position dominante. Mais je sais que vous comme moi : nous ne nous y laissons plus prendre.
Ce qui m’a touchée chez vous, c’est votre facilité à exprimer votre opinion avec toutes les nuances nécessaires sans tomber dans les arguties féministes habituelles. C’est vrai que j’ai apprécié votre lucidité et cette prise de recul qui pourtant ne cède pas un pouce de terrain à tous ces mâles, autant aux super testostéronés qu’à ces machos qui jouent la délicatesse et la politesse exquise style dix-neuvième siècle (les plus dangereux) mais n’en pensent pas moins à nos fesses ou encore qu’à d’autres toreros qui croient que tout leur est permis dès qu’ils cambrent leur petit cul. Pathétiques !
Alors, Julie, pour continuer un peu ensemble, je vous invite à prendre le thé un de ces après-midis, chez moi, avant que la nounou ne ramène les enfants de l’école. Nous pourrons nous en dire davantage. Qu’en pensez-vous ?
Bien à vous,
Sonia.
Bonjour Pierre,
J’ai bien reçu votre lettre, mais il y avait erreur de destinataire.
Je suis un ancien collègue de Nicolas. Je vous laisse le soin de faire parvenir ou non cette missive à son destinataire lorsque vous aurez pris connaissance de ces quelques lignes.
En effet, les apparences sont trompeuses. Nicolas n’est en effet plus que l’ombre de lui-même depuis qu’il a perdu son poste de Directeur Général puis sa santé à cause du cancer. La bimbo que vous évoquez est son assistante de vie, une jeune femme ukrainienne qui a accepté de jouer le jeu et de lui donner la réplique dans ce théâtre de la séduction qu’il affectionne. La Porsche, les dents blanches, les tenues de marque ne sont que des façades qui lui permettent encore de donner le change, autant aux autres qu’à lui-même.
La maladie et la précarité apportent l’humilité à certains. Mais le carburant de Nicolaz a toujours été l’orgueil. Chacun se raccroche à ce qu’il peut !
À vous de juger maintenant si vous envoyez ou non votre lettre à Nicolas. Peut-être serait-il heureux de faire illusion et de vous irriter ? À moins que vous n’estimiez que la vie a pris sa revanche et que vous n’ayez plus lieu d’être aigri, voire un peu jaloux, ce me semble ?
Bien à vous.
Thomas
Sonia,
J’ai longtemps hésité avant de répondre à votre lettre car elle ne m’était pas destinée. J’ignore par quel enchaînement de circonstances elle s’est trouvée dans ma boîte, je l’ai ouverte machinalement sans vérifier l’adresse.
J’ai finalement décidé de consacrer quelques minutes à cette réponse que vous n’attendez pas car je ne suis pas Julie mais Nicolas. Si vous lisez cette phrase c’est que vous ne l’aurez pas jetée à la seule lecture de mon prénom, permettez moi de vous en remercier.
Je ne chercherai pas à désamorcer toutes les préventions que vous semblez éprouver envers les hommes. J’ignore le thème de cette conférence que vous avez écoutée en compagnie de Julie mais je ne suis pas certain que tous les types d’hommes y étaient représentés. Votre jugement est sévère et peut-être insuffisamment documenté, le sexe masculin ne comporte pas que des super-testotéronés, machos doucereux du XIX° ou toreros. Peut-être n’avez-vous pas encore rencontré d’hommes modernes, bien dans leur peau, légitimement fiers de leurs réussites et qui savent offrir aux femmes une compagnie aussi intéressante qu’enrichissante (dans tous les sens du terme).
Sonia votre lettre m’a interpelé et j’ai désormais à coeur de vous démontrer l’existence d’un homme qui n’a pas besoin d’être dominant pour séduire. Je vous vois en femme libre et, je ne sais pourquoi puisque je n’ai pas encore eu le plaisir de vous rencontrer, belle. Je vous imagine souriante, alerte et pleine d’humour et je ressens un immense désir de confronter ce rêve soudain à la réalité qui, j’en suis certain, ne me décevra pas. C’est pourquoi je serais heureux de prendre ce thé avec vous, ce qui ne vous empêchera pas par ailleurs de revoir Julie dont je serais également ravi de faire la connaissance.
Merci de me communiquer l’adresse de notre lieu de rendez-vous, où que ce soit, même à l’autre bout du pays je m’y rendrai, j’aime conduire et ma Porsche sera me mener jusqu’à vous.
Je ne vous embrasse pas, réservant ce plaisir partagé à notre prochaine rencontre dont je ne doute pas qu’elle aura lieu.
Votre tout nouveau dévoué
Nicolas
Je suis bien le destinataire…
Mon cher Pierre,
À pathétique, pathétique et demi.
Contrairement à ce que vous semblez penser, je ne vous ai pas du tout oublié et sachez qu’en d’autres temps de notre jeunesse je vous appréciais beaucoup. Je vous appréciais car vous étiez différent, toujours tout en délicatesse et en discrétion avec votre attitude de chien battu – les yeux surtout je dois dire -, oui votre attitude de chien battu qui rongeait son os en attendant vainement les faveurs d’une belle passante.
Et oui, c’est cela qui vous rendait singulier et pathétique et je vois que vous l’êtes resté. C’est votre différence qui interpelle.
Il faut aussi que je vous dise une chose : j’apprécie chez vous cette lucidité qui vous fait lever le voile sur cette pointe de jalousie. Ne vous êtes vous donc pas interrogé là-dessus ? La sobriété et la morale que vous affichez ne sont-elles pas finalement une pauvre manière de rationaliser et de justifier vos rancœurs, vos frustrations et pour tout dire votre incompétence à prendre la vie à bras le corps et à jouir sans entrave.
Vous parlez de finir névrosé… mais, mon ami, vous l’êtes déjà ! Je le déplore et sans cela je n’aurais pas reçu cette amère missive qui me fait sourire autant qu’elle m’attriste pour vous.
Quant à la bimbo qui m’accompagnait et dont vous n’avez noté que les courbes, sachez aussi qu’elle est maîtresse de conférences en anthropologie sociale, ce qui n’est pas le moindre de ses mérites. Si, plutôt que de regarder ses fesses, vous aviez osé lui adresser la parole, elle aurait pu gentiment vous donner deux ou trois conseils de maintien.
Je suppose que vous n’avez plus le vieux vélo rouge qui vous transportait et que, peut-être, vous roulez maintenant en Clio, mais, si cela vous intéresse, sachez que je peux vous faire l’aumône d’un petit tour en Porsche, et même vous la laisser conduire un peu.
Vous dites ne plus souhaite me croiser, mais nous serions alors côte à côte et cela pourrait nous donner aussi
l’occasion de prolonger cet échange épistolaire… Qu’en dites-vous ?
Dans l’attente, mon cher Pierre, recevez mes meilleures salutations.
Nicolas
Je ne suis pas le destinataire !
Pierre,
Cette lettre ne m’était pas destinée, mais le destin fait bien les choses !
Je ne fais pas partie de votre joyeuse bande, je ne suis modestement qu’inspecteur des impôts…
Grâce à votre enveloppe, j’ai pu vous identifier et faire une enquête discrète sur vous.
Vous écrivez : je suis arrivé à un âge où il ne faut plus se priver d’énoncer ses aigreurs ni de dénoncer sans ménagement des individus tels que vous, cela sous peine de finir névrosé.
Peut-être ne finirez-vous pas névrosé, mais vous aurez le désagrément de rendre au fisc une partie des sommes que vous avez détournées. Ne vous étonnez pas si vous allez recevoir en plus de ma lettre, ma visite. Une enquête discrète me fait penser que votre comptabilité contient de nombreuses fausses factures. Un redressement conséquent va s’imposer.
Comme une chance en appelle une autre, votre lettre m’a permis de m’intéresser à votre ami Nicolas. Lui aussi c’est un cachottier : une Porsche, une propriété à Antibes, une vedette dans le port de Menton cela fait beaucoup pour un modeste agent immobilier qui déclare un revenu de 20 000 € par an. Quant à cette « bimbo » qui semble vous tracasser, c’est une péripatéticienne qui a aussi des revenus conséquents. Mais je n’ai rien à lui reprocher, elle fait honnêtement son métier. Rien n’empêche de gagner sa vie à la sueur de ses fesses si on déclare ses revenus.
De plus le modeste inspecteur des impôts que je suis a trop de chance. Votre ami commun, Sébastien a oublié de déclarer sa piscine et la propriété qui va autour. Il est vraiment amnésique il a oublié également de déclarer ses quinze chevaux de course. Je crains qu’il ne soit pas le simple agriculteur qu’il prétend être.
A bientôt cher Pierre.