On pourrait se servir d’une serpe pour couper la parole aux vieilles chouettes médisantes, non ?
Il y en a toujours deux ou trois, ou plus, assises sur un banc. Parce qu’il y a toujours un banc n’est-ce-pas ? Un banc sur la place, un banc dans l’allée et des bancs autour de la piste de danse.
Elles posent leur auguste derrière et commencent à épier alentour. Leurs yeux scrutent en panoramique. Puis soudain se figent sur leur proie. Un coup de coude à la voisine si elles sont deux, à droite puis à gauche si elles sont trois.
Et le venin leur monte aux lèvres, éclot en fleurs nauséabondes qui puent l’envie et excrètent des relents de regret. Telles des lianes venimeuses leurs paroles s’enroulent autour des réputations, les étranglent et les étouffent.
Mais nous, armées de nos serpes de rires et de joies, nous leur coupons la parole aux vieilles chouettes médisantes. Puis nous renversons les bancs à coup de pas chassés, chantons sur la place, dansons dans l’allée et embrassons sur la piste de danse.
Une serpe, ça vous fait penser aux moines guérisseurs ?
Il est vrai, ce sont souvent les moines que l’on dit guérisseurs et que l’on illustre serpette à la main en train de cueillir les herbes pour fabriquer philtres et onguents.
Lui, il était tout sauf moine. Il commettait souvent le péché d’orgueil et aimait trop les femmes pour être fidèle.
Mais il connaissait les plantes et leurs vertus. Les nuits de pleine lune il parcourait prés, marais et bois pour ramener une récolte odorante et précieuse. Les gens venaient le voir, parfois de loin, et repartaient avec de mystérieux petits sachets.
Aujourd’hui il ne reste que la serpe rouillée dans le capharnaüm d’un garage. Bientôt tout aura disparu puisqu’il n’a rien transmis de son savoir ni à ses fils, ni à ses petits-enfants.
Il leur a donné l’amour, appris le respect du travail bien fait mais n’a pas partagé sa science des plantes.
Croyait-il vaincre la mort à grands coups d’infusions et de fumigations ?
Ultime péché d’orgueil ! La mort n’est jamais une belle fille à culbuter dans le foin.
Une serpe c’est un bout de lune sur un manche.
Il guettait le bon moment depuis plusieurs jours ou plutôt plusieurs nuits. Tout était fin prêt : l’échelle en verbes tressés, le filet en ponctuation fine, le sac en phrases inachevées.
Et là, enfin, elle était telle qu’il l’attendait. Il lança son échelle vers le firmament, s’y suspendit avec agilité, grimpa à toutes jambes, son filet tendu au bout de son bras. D’un geste ample il en coiffa la lune naissante. Puis il redescendit et enferma sa proie dans le sac. Elle se débattit longtemps en jetant des éclats de lumière blanche. Quand au petit jour, épuisée, elle renonça, il s’en saisit et l’ajusta à un manche d’ébène.
Désormais sa plume taillée à coups de serpe lunaire ne tracerait que des vers incisifs et éclatants.
Et au final…
Vaincre la mort à grands coups d’infusions et de fumigations ?
Serpelipopette, ce ne sont que des sornettes !
Qui le croira si ce n’est la jeune Margotton qui s’en va couper des joncs ?
Pour sûr, la naïve écoutera les balivernes de soldats en goguette qui armés de serpes de rires et de joies lui tailleront le jupon.
Faudra-t-il alors que, de sa plume aiguisée à coup de serpe lunaire, la femme sage écrive une incantation de délivrance ?
Brrr bien dérangeante succession de petites violences de la vie et de tourments, de vilenies…de tres jolis passages poétiques aussi…
Ce texte avec ses circonvolutions autour de la serpe est magnifique !
Bonjour Syllabe,
Ton texte me plaît !
Drôle et ironique, surtout dans la 1e partie, parfois incisif,
souvent poétique.
Ces variations poétiques sur le thème de la serpe sont de toute beauté.
Bravo Syllabe.
Vraiment très bien écrit, je trouve. Beau langage !
Je sens cette serpe qui siffle et persifle comme ces vieilles chouettes et je m’incline sur le bout de lune sur son manche, tellement onirique.
Merci Syllabe !
P.S. Ben çà ! Siffler avec 2 « f » et persifler avec un seul ! Il est parti parce qu’on a soufflé trop fort !? Que cette langue me fait souffrir !