Villenave d’Ornon. Atelier du 18 décembre 2024
Quelques lieux
Cette rue ? Peut-être. Un peu déserte dans cette nuit sans étoiles. Mais pourquoi pas ? Je continue, j’avance. Mes pas résonnent sur le pavé humide. Je sortirai du tunnel, c’est sûr. Une fois passés ce garage entrouvert, gueule ouverte et cet hôtel qui doit héberger quelques oiseaux de nuit, je trouverai ce que je cherche : une petite place avec sa fontaine… je l’espère… et lui, cet inconnu entraperçu lors de ce cocktail tout à l’heure au vernissage.
Il avait bien dit 22h30 ? Il me semble. Tout est si confus ce soir, si étrange. J’avance.
Il m’avait bien montré la photo du square avec sa fontaine, regard droit dans les yeux et sourire en coin… II me semble. J’avance dans ce temps incertain. Courant d’air, courant d’idées s’emmêlent les pieds.
Quand j’étais passée devant cette galerie d’art tout à heure, je m’étais immobilisée devant la photo d’une vieille, très vieille bâtisse en bois. Complètement laissée à l’abandon. D’abord j’ai eu un peu de mal à la reconnaître, j’ai mis du temps. Puis, l’espace d’un instant, elle a surgi, flamboyante comme elle l’était à l’époque de mes grands-parents. Je suis restée figée ensevelie sous la multitude de souvenirs qui remontaient jusqu’à moi. Je suis entrée pour chercher l’auteur du cliché.
Le bruit des conversations, les lumières trop blanches, ce mouvement gesticulant de la foule n’ont pas été les première choses qui me heurtèrent. Non. Ce fut cette odeur de brûlé… la même qui émanait de la cheminée de grand-père. Un mélange de bois, de résine mêlés à des pommes de pin. Je me suis déplacée dans un recoin de la pièce, histoire d’avoir une vue d’ensemble et de trouver le photographe. Il était là, de dos à vingt pas de moi, bien entouré. Décidée, je m’adressais à lui : « Monsieur, êtes-vous l’auteur du cliché de la maison abandonnée ? ». Il se retourna, surpris (peut-être énervé, je ne sais). Son regard se posa, se radoucit. « Oui, c’est bien moi ». Pendant quelques minutes (ou secondes) nous comprîmes que nous avions des points communs, peut-être obscurs, mais qui ne demandaient qu’à être éclaircis.
Cette maison, il la connaissait, tout comme moi.
La photo, une passion, tout comme moi.
Nous ne pûmes en dire plus. Déjà des femmes l’entraînaient vers d’autres lieux, d’autres clichés. J’en profitais pour jeter un œil sur son travail qui s’étendait sur cinq murs de formes bizarres.
Dans un recoin, là où deux murs se rejoignaient en triangle s’élevait presque en solitaire, un homme nu, yeux fermés, agenouillé, assis sur ses pieds. Ses mains reposaient l’une sur l’autre en forme de coupe dont les pouces se rejoignaient. C’est sa façon de se tenir qui m’interpella. Et, là, sur son bras droit, le fameux symbole du dragon noir protégeant la terre.
J’observais son visage, et reconnus mon grand-père ! Je voulais reparler à l’artiste mais il était bien trop occupé à répondre à toutes ces sollicitations. A un moment pourtant, dans un mouvement de foule qui nous rapprocha, il me glissa à l’oreille : Vingt-deux heures trente… (il me semble), et me montra le cliché du square.
Voilà, j’ai marché, je marche. Je suis passée sans m’arrêter devant cet hôtel à l’enseigne rouge, je n’y aurais pas trouvé ce que je cherchais et de toute façon mes jambes refusaient de s’y arrêter. J’ai longé la ruelle étroite jusqu’à un croisement. J’ai pris la rue la plus éclairée tout en navigant sur mes souvenirs ressurgis.
La petite place se dressa devant moi. Elle m’attendait. La fontaine, modeste, écoulait son chant cristallin de sirène. Je me suis assise au bord. Quelques passants égayaient la nuit. Quelques bribes de conversation flottaient dans l’air : “Marianne ! Mais tu sais bien que Pierre en pinçait pour elle quand elle jouait à la marelle dans la rue !” Incroyable ! Encore une histoire de souvenir.
C’est à ce moment précis qu’il surgit, appareil photo en bandoulière, sourire aux lèvres. J’ai senti que nous nous connaissions déjà. Sentiment étrange entre deux inconnus qui se rencontrent.
- Venez, je vous emmène dans mon refuge, ma caverne, ma grotte des merveilles. Vous êtes d’accord ?
Je l’étais, bien sûr ! Et c’est ainsi que, dans cet entrepôt laissé par son grand-père, il m’immergea dans des centaines de livres épuisés par le temps et des tiroirs entiers de pellicules photographiques qui ne demandaient qu’à revivre.
Les ombres du passé allaient s’effacer dans la lumière de quelques vérités, et eux deux, allaient retrouver leur intégrité.
Patience et longueur de temps révèlent l’évidence du présent.
Ophenix
Décembre 2024
Très beau texte, comme de belles images successives, belles desciptions en cohérence avec l art photographique évoqué. Elles m ont emmenée dans l histoire d une rencontre avec des souvenirs, émotions, mais aussi dans LA rencontre entre les deux personnages dans ces lieux. Je suis restée sur ma faim par sa chute… ???