Textes de Christian et de Lucette, atelier d’écriture du 27 juin 2018. Animé par Maryline à Villenave d’Ornon.
Retrouver les consignes de cet atelier d’écriture ici : https://www.oasisdepoesie.org/forums/topic/personnages-de-roman/
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Jeanne Lancaster
Ce matin-là, quand j’ai rencontré Jeanne Lancaster au Macumba de Mérignac, elle semblait seule et désemparée devant son verre de whisky. Il était tôt dans la soirée et nous étions peu nombreux au comptoir du bar.
À la voir comme cela, je n’arrivais pas encore à savoir si c’était un homme ou une femme. Trente-cinq ans environ, ni belle ni laide, Jeanne avait un physique neutre, sans attrait particulier. Elle était vêtue d’une robe longue en lin qui lui collait au corps et de simples sandales et n’arrêtait pas de toucher son chignon à moitié défait. C’est elle qui m’adressa la parole :
- Vous y croyez, vous, aux prévisions des astrologues Mayas ?
Je fus aussitôt interloqué, et ne sachant que répondre, je lui demandais pourquoi elle me posait une telle question. Elle sortit de son sac un vieux livre mexicain qu’elle claqua sur le comptoir.
- Figurez-vous qu’il y a un secret là-dedans ! me fit-elle.
Et après son troisième whisky, j’appris qu’elle s’envolait le lendemain pour Mexico, à la recherche d’un trésor perdu.
Christian
Ce matin-là,
Ce matin-là Jeanne s’était réveillée la gorge nouée par les larmes de connivence de sa détresse.
Jeanne Lancaster estimait au sein de son pigeonnier sis 6e étage Résidence des Violettes, 3 rue des Bahutiers, que la vie n’avait pas toujours été souriante, terne il va sans dire, avec des hauts et des bas, à son avis un peu comme le temps un jour c’est bras nus, le lendemain cape et chaussettes montantes, souliers prends-moi-l’eau du ciel.
Pour ce soir du 27 juin 2018 elle s’était intégrée selon sa recette dans ses gamelles une ratatouille ognon, ail, céleri, poivron rouge + poivron vert + petits lardons nature, safran à parfumer et colorier, le tout grillé à feu vif. Une solide recette de célibataire en perte de vitesse.
Parce que ce n’était pas gai chez elle entre 2 volets fermés contre les yeux fourvoyeurs d’indiscrétions elle sentait monter en elle le désir de s’égarer au contact du monde, un besoin de se socialiser dans les rues du Vieux Bordeaux, sentir les odeurs de poubelles renversées par les pugilats des dernières heures de la nuit et pas encore ramassées par les bennes de déchetteries.
Certes, éphémères sensations de bien-être en ce lever de soleil et à midi se payer une solide pizza parmesan, pomme de terre, sauce narbonnaise, de quoi faire frémir les gourmands du coin et remplir les fesses de graissouille. Ensuite musarder entre les boutiques de la rue Sainte Catherine, tripoter les tissus, farfouiller bijoux, talons hauts, selon l’inspiration de l’instinct de conservation.
On pourrait assurer qu’elle avait des difficultés d’intégration relationnelle au centre de sa résidence des Violettes, pourquoi pas de Roses trémières ? Non, franchement pas envie de bavardasses entre deux étages à tort, politique, vols, accidents, kinésie, pharmacie ‘‘il lui faut du potassium et du lasilix’’, et sans doute acide cosmétique, coiffeur ? Hein, pourquoi pas!
Ce matin-là, au sortir de sa couche, Jeanne Lancaster n’allait pas se remettre à pleurnicher comme ces derniers mois depuis 3 mois, exactement suite à la rupture de contrat avec Léon Drité. Ce galopin de 49 ans sonnés s’était échappé, intégré joli cœur dans les bras de sa jeune gonzesse cheveux mèches versicolores rousses et bleues. Bon vent lui caresse barbe, moustaches, rouflaquettes, et le promène dans la barque à flots de Corinne Platey tant qu’il a provision de spermatozoïdes. Bonne chance, n’est-pas ? Jeanne Lancaster avait bien le droit d’écumer sa rage car elle avait été grugée et Le Léon en question s’était joué de sa confiance. Elle détestait cela. Jeanne arrivait à se demander ce que les hommes cherchaient chez la femme.
A priori c’était des idées préconçues et non stabilisées car elle désirait actuellement assoir sa vie non plus sur une échelle mais sur de solides madriers. Elle devrait rencontrer une gitane un peu sorcière qui lui prédirait l’avenir selon les rides du creux de ses mains, la gauche et la droite, pour savoir où assurer ses pieds. Elle ne croyait pas tout à fait à ces prophéties quoique cela l’aiderait à devancer ce stade pleurnicheur, surtout si les prophéties étaient de bonnes augures.
Ce jour-là elle n’avait pas l’intention de s’en aller cultiver le trésor des Mayas ni aller visiter Tamarasset à dos de chameau mais peut être rendre visite aux momies de la Tour Saint Michel, un succédané sans doute à sa tristesse du moment, puis se pourlécher la gorge d’une pincée de whisky à l’eau de roses et se tailler une clope au bar favori place de la Victoire de quoi rencontrer du monde à rire avec d’autres renifleurs de mots. En fait elle n’aimait pas diriger sa vie sur des charbons ardents ni subtiliser au temps ses performances et s’ankyloser derrière des acquis. Les réduire à néant. Certes elle se cassait quelquefois la gueule mais bien ou mauvais elle en tirait toujours un bénéfice. Et hop ça repartait ! Elle, à la page, qui l’eut cru? Voilà, ça c’était Jeanne Lancaster.
Ce mercredi de 27 juin elle savait pertinemment pour quelles raisons elle écumait sa rage sur les pavés rudes de la Grande Ville. Elle connaissait les réponses à ses questions larmoyantes dont finalement elle soulèvera le voile juste pour vous, chers amis lecteurs.
Les yeux perdus dans le vide intensif de la salle réchauffée, la voilà qu’elle se remit à pleurnichotter, reniflant les salives dans son mouchoir de plastique sur la sensation de solitude que lui offraient ses 38 ans ! Pendant 3 semaines il y avait eu essais flageolants avec Victor Filibert qui s’excitait chaque soir à gouter sa cuisine et disparaitre dans les ventes clandestines de cames.
En fait, elle savait pourquoi elle pleurnichait en solitaire dans son coin. C’était simplement son jour anniversaire et personne ne s’était penché sur son acte de naissance, aucun signe de reconnaissance, ni par SMS ni par mail. Elle avait donc tous les droits de verser des larmes de détresse. Ce qu’elle voulait c’était communiquer. Voyez-vous, pour vous révéler la vérité vraie, c’était juste dans ce but qu’elle s’était inscrite à cet atelier d’écriture de la Rue des Mûriers et qu’elle rejoignait chaque 4e mercredi de fin de mois ce corpuscule d’écrivains pourlécheurs de mots afin de communiquer, d’échanger en un libre arbitre d’idées à travers le temps.
Elle s’accordait encore deux larmes et terminus on tourne la page. Pas besoin de s’ébouillanter la cervelle. Il suffit de suivre quelques directives, comme pas plus s’époumoner le cervelet dans une dose de kleenex parce que ce type n’a pas su reconnaitre ses capacités de contacts intellectuels et sociaux. Comme dit Martin Luther King: ‘‘si on m’annonçait que la fin du monde est pour demain je planterais quand même un pommier’’ Personne n’a tenu compte de sa date de mise au berceau, et alors ? Finalement cela n’avait aucune importance si par la suite on l’avait proprement langée. Elle devait assumer tant qu’elle appréciait sa cuisine safranée en toute quiétude. Subtil n’est-ce pas ?
Lucette