Et ce fut le silence, un silence étrange, inhabituel, seulement teinté par les rayures d’or du crépuscule qui venait doucement avec une teinte grise ce soir-là, où rien ne bougeait plus, jusqu’aux fourmis rouges qui s’étaient arrêtées dans une attente, une sorte de torpeur, dans les moindres recoins où elles grouillaient d’habitude le jour comme la nuit, jusqu’aux enfants en guenilles qu’on n’entendait plus, qui semblaient avoir disparu, enlevés par quelque sorcière, abandonnant brutalement leurs jeux autour des maisons rayées comme des arcs-en-ciel, ces maisons si joyeuses avant de se taire elles aussi jusqu’à ce que soudain, soudain rien que le silence immobile qui pétrissait ce monde où seuls les réverbères qui venaient de s’allumer tous ensemble paraissaient une maigre étincelle de vie, lueurs pathétiques dans cette atmosphère où je n’en finissais plus d’attendre, fasciné et inquiet, comme pétrifié dans cet immobile magma, quand soudain une autre image me vint.
Mais qui était cette fille que j’avais rencontrée tout à l’heure dans la rue, cette fille au sourire franc comme l’or, qui avait pris mes deux mains dans les siennes comme pour m’entraîner vers elle, pour me confier le secret que seules savent les fées qui le soir hantent les rivages et les bidonvilles et qui de leur baguette sont capables comme ce soir d’endormir tout un monde où tout s’arrête, ou qui peut-être vous entraînent dans un rêve, dans une tranche de réalité d’un monde multidimensionnel, une tranche qu’elle découpent pour vous seul, pour vous faire vivre un instant d’intense émotion, une émotion qu’elles savent distiller en vous emmenant, pieds et poings liés, dans un de ces mondes merveilleux qu’elles gouvernent, un monde qui n’est que le fond de vos pensées secrètes et que vous-même avez toujours ignoré. Oui, qui était donc cette fille, cette fée ?
L’avais-je oubliée, ou bien ne l’avais-je jamais connue ? Elle ressemblait à ma grand-mère pour sa douceur, à ma mère pour cette profondeur du regard, à ma sœur pour son écoute bienveillante et à ma fille pour ses émerveillements, ses rires, sa spontanéité…. Je sus alors qu’elle était simplement la Femme, celle qui transforme en fragment d’éternité l’infime parcelle d’une journée ordinaire.
Christian, puis Bernadette.
Atelier d’écriture du 24 avril à Villenave d’Ornon
Le scénario de cet atelier d’écriture :
https://www.oasisdepoesie.org/forums/topic/decoupages-sans-point/
Je dois admettre que pour moi, lire des textes sans presque aucun point est bien plus difficile que d’en écrire un dans ce style.
C’est peut-être parce que, tout en écrivant, on peut se permettre d’imaginer de courtes pauses aux bons endroits, ce qu’il n’est pas permis de faire quand on lit un texte censé être lu sans respirer, écrit par quelqu’un d’autre.
Ceci dit, je dois admettre qu’en relisant cette prose plusieurs fois, je suis devenue convaincue de la beauté particulière de ce style.