Texte de Gérard, suivi de l’analyse de Mercedes. Atelier d’écriture du 29 août 2018. Animé par Christian.
Retrouvez les consignes de cet atelier d’écriture ici : https://www.oasisdepoesie.org/forums/topic/je-ne-suis-pas-celle-que-vous-croyez/
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Psy en solde
‒ Pierrot, parlez moi d’un instant de bonheur qui vous vient spontanément à l’esprit.
‒ Je suis heureux d’avoir connu le succès dès ma première publication.
‒ Dans la vie, votre travail, un obstacle, une difficulté se trouve sur votre chemin, vous contournez ou vous renoncez ?
‒ Je devais absolument donner mon manuscrit avant le 25 septembre à mon éditeur. Il me restait un bon tiers à écrire, mon imagination était à l’étiage. Je restais des heures entières devant le clavier sans avancer d’une ligne. Commencé-je une phrase que je l’effaçais, incapable de concevoir l’enchainement nécessaire à son issue. Dans la nuit du 23 au 24 un cauchemar me sortit du lit. Je bondis à ma table de travail et sans prendre une minute de réflexion, je pianotais sans relâche. J’achevais mon texte au lever du soleil.
‒ Une inquiétude, une peur, une phobie vous a tenaillé ?
‒ Satisfait d’avoir terminé dans les temps, convaincu par l’enthousiasme que j’avais éprouvé à l’écriture de la chute de mon roman, je procédai dans la foulée au tirage. Une à une les feuilles tombaient de l’imprimante. Je les entassais, les taquais au fur et à mesure. La dernière page empilée, je glissai le paquet dans une enveloppe à soufflet et sans prendre rendez-vous, je me rendis à la maison d’édition pour y arriver à l’ouverture. C’est chemin faisant que le doute se fit jour dans mon esprit. Je n’ai pas relu ! Que va me dire l’éditeur ? Ne va-t-il pas se moquer de moi ? Ou me demander si je ne me moque pas de lui ?
‒ Que désireriez-vous voir se réaliser avant de mourir ?
‒ Obtenir le Goncourt, ou le Renaudot… Le Nobel ? non pas du tout. Je suis bien conscient.
‒ Vous avez un jour “cueilli le fruit défendu,” passé la limite du permis, quelle perception en avez-vous aujourd’hui ?
‒ Je ne regrette pas d’avoir puisé dans les écrits de mes confrères. Ils m’ont permis de développer mon imaginaire. Les quelques procès pour plagiat que j’ai perdus ne m’ont pas couté aussi cher que ce que m’a rapporté la parution de mon premier roman.
‒ Dites-moi un rêve avouable.
‒ J’ai rêvé la cérémonie de mon accueil à l’Académie française ! Tous les habits verts étaient des uniformes sur lesquels les feuilles de lauriers surbrodées d’or avaient laissé la trace de leur suppression. Les Immortels coiffés du bicorne ne portaient pas l’épée mais présentaient les armes avec une Kalachnikov canon dirigé vers le sol. J’avançais entre les haies qu’ils formaient, j’avançais toujours. Je ne trouvais pas mon fauteuil.
Réponse faite à Pierrot :
‒ Pierrot, avez-vous déjà connu ce sentiment de bonheur à un autre moment de votre vie ?
D’après votre récit, on pourrait interpréter ce succès comme un cadeau.
Êtes-vous sûr que ce cadeau vous revient ? Ou est-il là pour l’offrir à quelqu’un ?
Lorsque vous étiez enfant, en fin d’année scolaire vous prépariez un cadeau à vos parents ?
D’ailleurs, à quel âge avez-vous été propre ?
Vous êtes, à mon goût, assez sévère avec vous-même, quand vous dites “Je devais absolument apporter mon manuscrit avant je ne sais pas quelle date” comme si cela était une question de vie ou de mort, c’est ainsi que vous le présentez, Pierrot.
Si votre échéance du 25 septembre n’était pas respectée, vous pensiez peut-être avoir pu être puni ?
Votre sommeil interrompu par un cauchemar, votre imagination asséchée, tout ce temps passé devant l’ordinateur, ne serait-il pas de l’ordre du sacrifice ?
Et puis, vous semblez être dans l’agir vite, vite, aller chez l’éditeur, mais Pierrot sans le lire, et à nouveau la peur de l’éditeur, “Que va me dire l’éditeur ?” la peur de la punition, de la moquerie. Le cercle vicieux, OUHMM.
Vous rêvez d’obtenir le Goncourt, mais copier le travail de vos confrères c’est bien de l’imposture dont il s’agit !
J’ai bien peur que le bout de chemin, que nous avons commencé ensemble, devra se poursuivre pendant longtemps.
On pourra envisager les séances deux fois par semaine.
Aussi, si financièrement cela devenait problématique pour vous je suis prêt à revoir le prix de la séance à la baisse.
La séance est terminée pour aujourd’hui.
Ah … pauvre Pierrot… il ne mérite pas un discours aussi dur.
Si tout le monde parlait si ouvertement de ses sentiments, tous les psys perdraient leur emploi, car il n’y aurait rien à extraire de l’inconscient de leurs clients.
Une exception faite pour l’intelligente psy qui double les séances de ses traitements afin de sauver l’âme des innocents Pierrots.
J’admire cette psy bien formée sur le plan commercial qui est même disposée à baisser son prix à condition que le client continue à venir.
Merci Gérard ! Merci Mercedes !
J’ai bien aimé être témoin de cette consultation extraordinaire.