Atelier du 27 Novembre 2019 à Villenave d’Ornon
Lettre d’Anne-Marie
Après un voyage épuisant, nous voici enfin arrivés dans ce paradis terrestre. Tout est là: le vert éclatant des plantes et des arbres, le bleu intense de la mer et du ciel, les crêtes des vagues ourlées d’écume blanche…
Dommage !
La carte ne vous permet pas d’apprécier la musique des drisses qui tintent dans la brise ni les parfums des mimosas mêlés au senteurs iodées.
La température ? Idyllique !
Tant pour l’air que pour la mer. L’eau est délicieuse !
Pour le farniente, la sieste et la bronzette sur la plage, un merveilleux sable, fin, doux, doré nous accueille sous un soleil éclatant.
Bref, ici tout baigne à Plougasnou !
Nous sommes les Rois du monde !
Nous pensons bien à vous.
Métro. Boulot. Dodo ! Quelle tristesse, on vous plaint beaucoup !
Dès notre retour, pour que vous puissiez profiter vous aussi de cet eden, nous ferons une soirée photos.
Des vacances de rêve, vraiment !
Amitiés
À bientôt !
Anne-Marie
Réponse de Christian au courrier d’Anne-Marie
Oui, tu ne le savais pas mais je connais bien ce lieu, qui n’est pas vraiment celui que tu imagines. Plougasnou, oui, ça baigne comme tu le dis, mais ça baigne dans le sinistre !
Écoute bien : Plougasnou – Le Diben… Écoute encore… “Diben, Diben, Diben”… N’entends-tu pas sonner le glas ? Que cachent ces arbres sombres ? Le sais-tu ?
Non pas ces hamacs de farniente éclaboussés de soleil que tu n’as su que voir, mais bien des masures noires, terribles, celles qui abritent des générations de naufrageurs. Ceux qui convoquaient le diable la nuit sur les grèves, en allumant leurs grands brasiers, ceux qui dépeçaient la chair encore palpitante des galions éventrés. Ne sens-tu pas planer le diable sur ces eaux ? Et l’épouvante, et les fantômes des capitaines naufragés, de leurs équipages, de leurs femmes hurlant de terreur, tous fracassés sur ces rochers sombres.
Alors, quand tu penses à cela, à tous ces morts qui planent sur les eaux, comme eux tu perds la tête, tu déménages, tu travailles du chapeau, tu as les méninges en accordéon, comme eux tu as une araignée au plafond, comme eux le timbre fêlé, tu ondules, tu ondules de la toiture, tu es bon pour le cabanon car cet endroit rend fou !
C’est comme je te le dis, Anne-Marie, ouvre tes yeux et bouche tes narines. Non, ce n’est pas l’odeur de l’iode… tu comprends maintenant de quelle odeur il s’agit, c’est celle de la charogne et des charognards ! Pense à la poudre des os qui peuple ton sable fin.
Oh ! Anne-Marie ! Combien de marins, combien de capitaines ont péri dans cette mer océane, là, à Plougasnou – Le Diben. Diben, Diben, Diben…
Imagine ! Imagine-les, errants sur ces grèves maudites ! Sens-tu dans ton cou ? Sens-tu ces souffles fétides ? Sauve-toi, sauve-toi, n’ose plus un seul orteil dans ces mauvaises eaux. Crache, fais ton signe de croix et sauve-toi qu’ils ne t’emportent !
Christian
Réponse de Purana aux lettres d’Anne-Marie et de Christian
Tard dans la nuit, arrivés à la Baie de Morlaix, j’ai aperçu les démons dont parle Christian.
Ils m’attendaient. Je pouvais entendre leur compte à rebours si bruyant et effrayant alors que notre bateau naviguait entre les sombres falaises et les rochers sous-marins.
Moi aussi, de loin, j’ai vu la façon dont de grands feux étaient allumés l’un après l’autre sur les collines rocheuses.
J’ai bien vu leur grande vilaine grimace.
J’aurais été morte de peur si j’avais été seule.
C’était trop tard pour sortir de ce pétrin ; à savoir un périgée lunaire, une marée de vive eau et une forte tempête.
Je me suis demandée si ces falaises étaient habitées par des cannibales.
Le lendemain, en me réveillant je me suis trouvée amarrée en toute sécurité dans le port de plaisance.
Maintenant, je me rends compte que j’avais été témoin de ce monde méchant auquel Christian avait été exposé.
Après un gros petit-déjeuner anglais, je me suis assise dans la voiture de location près de mon capitaine qui conduit avec autant d’enthousiasme qu’il navigue : confiant, intrépide mais prudent.
Dans les jours qui suivirent, nous n’avons fait que marcher, conduire et faire du vélo. C’est ainsi que j’ai visité ce lieu pas si commun, Plougasnou-Le Diben tellement apprécié par Anne-Marie.
Ah… elle a raison ; comme c’était doux, vert, paisible et accueillant.
La tempête s’était apaisée, mais une autre était en train d’approcher la baie.
Les marins savent ce que cela signifie : il est temps de se précipiter hors du port avant d’être coincé durant Dieu sait combien de temps.
À l’aube, nous nous dirigions vers la mer, derniers marins à quitter le port au moteur.
C’est là où j’ai vu le troisième aspect, l’un des plus beaux visages de Bretagne : un littoral brumeux, un ciel bleu au-dessus de ma tête et un mystérieux horizon jaune que je n’ai jamais vu avant ni après cette matinée inoubliable.
Pfft … Il me semble que je me suis éloignée de vos textes. Désolée.
Je vous remercie de me rappeler ce paradis ébouriffant.
Purana