Le vase de Soissons ?
Il fallait relever le défi, choisir et inventer des personnages, et trouver le coupable.
Ils l’ont fait, et ces trois petites nouvelles valent bien le détour !
Bonne lecture et vous pouvez même les gratifier d’un petit commentaire !
Qui a cassé le vase de Soissons ?
Oui, on ne pouvait que le déplorer : le vase gisait là par terre, au pied du piano demi-queue. Un joli, mais c’est trop peu dire, un charmant, un délicat, et surtout un inestimable vase Ming qu’elle avait reçu quarante ans plus tôt, en cadeau de mariage du professeur Soissons, un éminent sinologue de la faculté de Montpellier.
Sur le parquet en acajou au point de Hongrie, des débris de porcelaine délicatement teintés de bleu voisinaient avec cette rose rouge en origami que le vase avait toujours portée. Seules les deux anses élégamment ouvragées restaient encore intactes mais séparées du corps. Une piètre consolation.
…
Madame, fit Régine, la femme de ménage du château, en découvrant l’objet inanimé qui, pourtant, avait eu une âme, Madame ! Venez, venez ! On déplore un tout petit rien !
Anne de Plessis Breteuil, qui connaissait trop bien la chanson, se précipita dans la pièce à musique et, découvrant le désastre, ne put que s’écrier : “Mon dieu ! Le vase de Soissons ! Mais qui a cassé mon vase de Soissons ! Ne touchez à rien, Régine, ne touchez à rien !
Éplorée mais néanmoins pragmatique – elle savait bien que le prix du vase valait au moins la moitié de celui de son château –, la maîtresse de maison se versa une troisième tasse de thé bien fort et s’empressa vers son téléphone pour appeler immédiatement la compagnie d’assurance. Ce fut le directeur national lui-même qui prit l’affaire en main et qui délégua sur le champ ses meilleurs détectives pour examiner l’affaire et si possible trouver un coupable vers qui la compagnie pourrait elle-même se retourner. C’est ainsi que dès le lendemain matin on vit arriver l’inspecteur Pedro Tampoco et son assistante Martine Acapulco pour mener l’enquête.
Il ne lui manquait que la 403 décapotable. Pedro Tampoco était un homme très brun, un peu trapu, un peu voûté, l’air matois et le regard aiguisé. Lui aussi portait un imperméable mastic qui en avait vu bien d’autres. Sa collègue Martine Acapulco, la trentaine, en jean, un tee-shirt blanc flottant sur ses épaules, était une grande blonde à l’air évaporé, experte en histoire de l’art.
Hum… pensa-t-elle en découvrant la scène, affubler un vase Ming d’une telle rose en origami – et rouge, de plus -, était certes une vraie faute de goût. Il s’agissait pourtant d’un vase Ming authentifié, Soissons ne s’était pas moqué de la mariée.
Tampoco et Acapulaco examinèrent les débris à la loupe, sans les toucher et dédaignèrent la rose en origami de peu de valeur. Vraiment, quel mauvais goût ! Ils demandèrent à voir Régine qui avait découvert le désastre et ne purent s’empêcher de la suspecter. Anne de Plessis-Breteuil tenait cependant sa fidèle domestique au-dessus de tout soupçon. Elle était certaine que Régine aurait avoué sa maladresse si elle avait été coupable. Comment alors identifier un coupable ?
Avez-vous des animaux dans cette maison ? demanda soudain Pedro Tampoco en se retournant, juste avant de franchir la porte.
Oui, rectifia la comtesse – car elle était comtesse -, au château, nous avons Milord, c’est mon bon vieux chat…
Je pourrais voir le chat ? fit Tampoco.
Bien sûr ! Allez, venez, Milord, montrez-vous ! fit la comtesse.
Un vieux chat cacochyme au poil ébouriffé sortit de sous une armoire, peinant à s’approcher de sa maîtresse. C’était clair, il n’avait plus l’âge ni la force de sauter sur le demi-queue pour aller bousculer le vase du professeur Soissons. Il vint caresser négligemment de ses moustaches la rose rouge qui gisait près du vase sur le parquet en point de Hongrie, puis retourna dans sa cachette sous l’armoire… Peut-être le seul témoin du drame.
Anne de Plessis-Breteuil écoutait Régine lui demander en confidence si elle trouvait les deux cocos vraiment compétents.
…
Alors que Tampoco faisait mine de vouloir quitter les lieux, Martine Acapulco continuait à examiner les débris du vase Ming. Elle fouillait tous les détails avec sa loupe éclairante, s’attardait sur les brisures sans toujours rien toucher à la scène. Tampoco s’impatientait et faisait machinalement le tour de la pièce en regardant les lambris du plafond et en soupirant régulièrement.
Bon, tu trouves quelque chose ? fit-il à sa collègue.
Attends, attends ! Elle se leva, se dirigea vers sa sacoche et en sortit un énorme livre d’art sur les vases chinois. Elle le feuilleta rapidement, s’arrêta à la page “signatures et vernis de couleur”, puis revint vers le vase après s’être munie d’une longue et fine pince avec laquelle elle saisit, en prenant mille précautions, un des morceaux qui correspondait au fond du vase. Elle s’approcha de la fenêtre en brandissant la pièce pour mieux la voir à la lumière du jour. Quelque chose était inscrit qui ne figurait pas sur l’acte d’authentification dressé quarante ans plus tôt. En grossissant encore davantage à l’aide de sa loupe électronique, elle parvint à déchiffrer, en tout petits caractères, le mot “Limoges“.
Elle se retourna pour asséner sans détour : Ce vase est une belle contrefaçon !
Pedro Tampoco et sa collègue Martine Acapulco appelèrent aussitôt la police qui établit un procès-verbal pour les laisser officiellement emporter les restes du vase brisé. La rose rouge en origami demeura sur le parquet en acajou au point de Hongrie.
…
Le contrefacteur n’avait pu résister à l’envie d’imprimer sa marque sous le vase, celui-ci n’étant destiné qu’à être exposé à la place de l’inestimable original et non à tromper un éventuel acheteur. Ce détail, Anne de Plessis-Breteuil l’avait oublié avec les années… La toiture du château devait être entièrement refaite et cela dépassait largement ses possibilités financières.
Une véritable enquête policière fut menée. Il ne fut pas facile, mais pas trop difficile non plus de retrouver le précieux original, soigneusement emballé et déposé au fond du puits du château, un vieux puits désaffecté qui n’attirait pas l’attention.
L’affaire fut portée devant les tribunaux. La comtesse, convaincue d’escroquerie aux assurances, écopa de deux ans de prison avec sursis et dut vendre le vase de Soissons pour payer la très forte amende.
Au château, la toiture continue de se dégrader et sur le piano demi-queue, la rose rouge en origami reste posée.
Anne de Plessis Breteuil se réveilla à trois heures du matin. Rentrée tard la veille au soir d’un séjour en Suisse où elle avait fêté son soixantième anniversaire, elle était montée directement dans sa chambre.
Cependant au cœur de la nuit, des détails de son arrivée remontaient à la surface. Elle se remémorait maintenant un infime détail que la fatigue avait relégué dans son inconscient. La porte du salon était légèrement entr’ouverte alors que la gouvernante avait ordre de fermer soigneusement toutes les portes.
Elle se précipita au rez-de-chaussée et pénétra dans le salon oriental. La lumière blanche de la pleine lune éclairait les vastes éventails fleuris qui décoraient les murs. Son regard se porta vers le coin sombre où se tenait la cheminée de marbre incarnat. Justement, il y faisait sombre, trop sombre. Le cœur battant, elle scruta le sol et tomba à genoux devant l’horrible spectacle : le vase du XVIIème siècle que son trisaïeul Auguste-Hubert de Soissons avait rapporté d’Ispahan gisait sur le parquet de chêne ciré. Les délicates roses qui l’ornaient étaient maintenant éparpillées en mille morceaux et ses anses délicates étaient pulvérisées.
Le lendemain matin, l’inspecteur Dupuch arriva mal rasé et mal réveillé à l’hôtel de Soissons. Il bruinait, il ne se faisait pas au climat de ce coin de France si éloigné de son Bassin d’Arcachon natal. Et franchement, il avait mieux à faire qu’à s’occuper de chiens écrasés ou de pots cassés… Enfin, puisque la Duchesse de Plessis Breteuil était une relation de Monsieur le Préfet…
Justement, celle-ci l’attendait sur le pas de la porte :
– Ah, vous voilà Inspecteur ! C’est affreux, mon vase de Soissons est irrémédiablement brisé !
L’inspecteur souleva un sourcil fatigué.
– Hum, il avait une grande valeur pour vous ?
– Oh, inestimable ! Vous voyez cet hôtel particulier ? C’est une maison du XVIIIème, classée aux Monuments Historiques que vient de me léguer ma défunte mère. Et je devais céder le vase à l’État pour m’acquitter des droits de succession ! C’est une catastrophe !
– Hum, je vois, « Vase brisé, château envolé », répondit l’inspecteur qui était célèbre pour ses dictons. Est-ce qu’il y eu effraction ?
– Absolument pas, Inspecteur !
– Hum, fit l’inspecteur en sortant son calepin fatigué de son imper fripé, qui possède la clé ?
– Et bien ma gouvernante Marguerite Leblanc, qui habite ici.
– C’est tout ?
La duchesse rougit jusqu’aux oreilles.
– Il y aussi mon ami Pedro Tampoco
– Hum, quels sont le domicile et la profession de ce monsieur ?
La duchesse devint écarlate.
– Il habite ici. C’est un artiste mexicain très doué, mais pas encore suffisamment reconnu. Je l’héberge pour le soutenir financièrement, car il a un talent véritablement prometteur.
La duchesse toussota.
– Regardez, une de ses œuvres est accrochée là.
– Hum, je vois « Sucre sur fond de neige », sur le mur blanc, je n’avais pas remarqué… J’aime beaucoup les fulgurances de blanc brillant…
L’inspecteur reprit son crayon et son carnet devant son interlocutrice interloquée.
– Pourriez-vous faire venir Madame Leblanc et Monsieur Tampoco ? J’aimerais les interroger en privé.
La duchesse s’éclipsa. Sur ces entrefaites arriva Kevin Watson, l’adjoint de Dupuch. Il se pencha illico sur les flancs explosés du vase de Soissons et examina avec précaution sa collerette striée de rouge. Il se figea soudain :
– Inspecteur, regardez ce que je viens de trouver !
Il lui tendit le pied brisé du malheureux vase.
– Hum, fit l’inspecteur, Saperlipopette ! De la poudre d’escampette, de quoi faire planer tout un régiment ! Envoyez-moi ça au labo des Stups ! Et mettez-moi le vase sous scellés pour faire examiner les empreintes.
La duchesse revint, très agitée, dix minutes après, accompagnée de son ami et de sa gouvernante.
– Marguerite vient de trouver dans ma chambre une boucle d’oreille de ma sœur Isabelle. Mon ami Pedro, ici présent, me dit qu’il ne l’a pas vue mais qu’il était occupé dans son atelier une bonne partie de la journée d’hier.
– Hum, je prends note, j’interrogerai votre sœur ultérieurement. Pouvez-vous me donner son nom, son âge et sa profession ?
– Isabelle de Monplessis, 45 ans, plus connue sous le nom de Lulubelle. Elle est animatrice à la télévision.
– Hum, le talkshow « Lulubelle fait pas dans la dentelle » c’est elle ?
– C’est ça, pas vraiment une gloire pour la famille…
– Elle hérite aussi ?
– Non, car nous n’avons pas la même mère. Autant vous dire tout de suite que nos rapports sont exécrables.
– Hum, je vois. Veuillez nous laisser. Je souhaite entendre Madame Leblanc d’abord.
Marguerite Leblanc avait la cinquantaine aussi fatiguée que son plumeau décrépit. Dès son arrivée elle protesta qu’elle n’avait pas cassé le vase, que Madame lui interdisait d’y toucher car elle le nettoyait elle-même tous les vendredis.
– Hum, avez-vous remarqué quelque chose de suspect en l’absence de Madame ?
– Non Monsieur l’Inspecteur, Madame m’avait autorisée à prendre mon congé et je suis allée chez ma sœur Rose, qui vous le confirmera.
– Et vous êtes rentrée quand ?
– Ce matin pour préparer le petit déjeuner.
– Merci Madame Leblanc, vous pouvez disposer.
Puis vint le tour de Pedro Tampoco. C’était un bel homme d’une quarantaine d’années, portant un long caftan noir brodé sur une paire de babouches rouges.
– Hum, fit l’Inspecteur, beaucoup de force dans votre rendu des blancs ! Je suis très impressionné !
– Merci, fit Tampoco, je me suis inspiré de la technique des blancs de Joaquín Sorella et du concept des monochromes de Klein.
– Hum, saisissant, dit l’Inspecteur, je dirais même plus, stupéfiant !
Il sortit de la poche de son imper un petit grattoir. Dans un silence à couper au couteau, il approcha la lame de la toile et préleva un peu de pigment.
– Hum, votre technique me rappelle aussi celle de la dernière période d’Andy Warhol, lorsqu’il intégrait des éclats de diamant à ses portraits… Mon cher Watson, pouvez-vous aussi mettre le tableau sous scellés et l’envoyer aux stups ?
Quelques mois plus tard, Paris-Match faisait sa couverture sur « Le pot aux roses qui avait révélé le peintre à la cocaïne ». L’interview de l’artiste, agrémenté de nombreuses photos montrait celui-ci en majesté aux côtés de la célèbre Lulubelle, moulée dans une robe sexy. Pedro Tampoco regrettait d’avoir cassé le vase précieux de sa protectrice, lors d’une séance de peinture mal dosée en cocaïne. Après avoir écopé d’une peine avec sursis, il était aujourd’hui domicilié dans un paradis fiscal où la cocaïne était tolérée et on disait que ses toiles faisaient fureur dans les milieux underground. Il ne fut pas ingrat et offrit à son ancienne maîtresse le prix de quelques toiles pour financer ses droits de succession.
Et le pot aux roses, bien qu’estropié, coule désormais une retraite paisible au Musée de la Manufacture de Sèvres où des mains expertes ont pu le remettre sur pied.
Daniel Lémiche se rendit au plus vite à l’étude de Maître Rémi Lepaqué, notaire, où selon l’appel téléphonique qu’il venait de recevoir, un évènement insolite venait de se produire. Il le savait, dès que le fait serait connu on ne manquerait pas d’en faire des gorges chaudes dans les commerces, les bistrots et les rues de Rhémont sur Giselle. Il exerçait la fonction de commissaire de police dans cette petite ville tranquille où les enquêtes n’étaient ni très excitantes, ni prestigieuses, à l’exception bien sûr de la récente affaire de l’assassinat d’Anne-Lise Syntès qui avait fortement secoué la communauté Rhémontoise, encore sous le choc.
Deux de ses collègues l’attendaient à la porte de l’étude et le suivirent jusqu’au lieu où fut découvert le méfait, tôt le matin, par le notaire lui-même. Les cheveux en bataille et ayant manifestement oublié de se raser, celui-ci affichait une mine déconfite.
– Voilà commissaire. Ce vase dont vous voyez les débris a été détruit cette nuit. Hier soir il était encore intact quand j’ai fermé à clé la porte qui communique avec mon appartement, ce matin à 7 heures, il était en morceaux au pied de sa vitrine. Quelqu’un semble s’être acharné dessus avec la hache que voici. Je n’ai rien touché, il n’y a eu aucune effraction sauf celle de la vitrine. Une dernière précision de la plus haute importance et que vous connaissez sans doute : C’était le vase de Soissons.
Lémiche se tourna vers un des policiers.
– Hildebert, vous ferez un relevé exhaustif de toutes les empreintes que vous trouverez dans cette pièce puis vous recueillerez celles de Maître Lepaqué. Désolé Maître mais c’est la procédure.
Hildebert était un jeune policier consciencieux et zélé. Avec son collègue Amédée ils constituaient l’équipe rapprochée du commissaire. Lémiche s’enorgueillissait de ses origines prolétariennes mais il se trouvait flanqué d’un duo d’aristocrates quelque peu dépareillé : D’huyres et De Labardie. D’Huyres, Amédée, aurait volontiers laissé tomber sa particule et son prénom témoignait d’ailleurs de la volonté familiale de ne plus mettre en avant les nobles souches de la lignée. De Labardie, Hildebert, était plus hautain, il parlait un français impeccable, sans un mot d’argot, homme précis, courtois, d’humeur égale et bien qu’il fût le seul que tout le monde vouvoyait, il était finalement apprécié de tout le commissariat,
– Bien commissaire. Maître si vous voulez bien me suivre jusqu’à cette table nous allons procéder à l’impression de vos empreintes.
– Salut les poulets !
Lémiche reconnut tout de suite la voix de Hubert Lahune, journaliste et néanmoins son ami.
– Hubert tu arrives trop tôt là ! On n’a encore rien pour toi, mais tu peux commencer à te documenter sur le vase de Soissons, ça t’occupera avant que l’on te donne en pâture quelque chose pour les lecteurs du « Col Vert de la Giselle ».
– A ce soir pour l’apéro ?
– A ce soir Hubert, merci de nous laisser bosser.
Une bruine froide et tenace baignait Rhémont sur Giselle, dans les rues luisantes d’humidité quelques passants emmitouflés vaquaient à leurs occupations. Personne n’était encore au courant de ce qui s’était joué dans l’étude du notaire.
En fin de matinée Daniel et ses deux collaborateurs firent un premier point de la situation. Ils écartèrent les premières suspicions qui pesaient sur Lepaqué lui-même. Quel pouvait être son mobile ? Il semblait sincèrement catastrophé par la destruction du vase, dont la valeur artistique et historique étaient, disait-il, au-dessus de toute estimation. Une escroquerie à l’assurance ? Non, cela ne tenait pas pour d’évidentes raisons et surtout celle-ci : Aucune compagnie d’assurances n’aurait accepté de couvrir un objet de valeur placé dans une vitrine fragile et non connectée à une alarme. Ajoutons que sa conviction selon laquelle le vrai vase de Soissons était intact, à l’inverse de ce que l’on racontait depuis des siècles, et se trouvait dans son étude à Rhémont sur Giselle n’était partagée par aucun des trois policiers. Il y avait aussi cette hache, clin d’oeil à la version la plus répandue de l’histoire du célèbre vase, délibérément abandonnée sur les lieux et sur laquelle aucune empreinte n’avait été décelée. En écartant pour le moment la culpabilité du notaire les questions étaient : Comment le coupable s’était-il introduit dans l’étude ? Pourquoi avait-t-il détruit le vase plutôt que de le dérober ? Et enfin qui était-il ou était-elle ? Le mystère était épais.
Amédée suggéra d’enquêter d’abord dans l’entourage du notaire. Quelqu’un aurait pu subtiliser le code, peut-être un membre de la famille ou un ami a-t-il voulu se venger de quelque chose, frapper où ça fait mal ? Il faudrait interroger Lepaqué dans ce sens, voir s’il se connaissait des inimitiés.
Il se retrouvèrent vers 17 heures 30. Hildebert avait vérifié que les empreintes, autres que celles du notaire, étaient celles de la femme de ménage, mais elle se trouvait cette nuit-là chez sa fille, à Comté lez Rhémont sur Giselle, alibi vérifié. Amédée confirma qu’il était difficile d’avoir des certitudes historiques sur le vase de Soissons, mais confia qu’il avait passé un après-midi formidable avec ces recherches, et Daniel n’avait rien tiré de tangible des questions posées dans l’entourage immédiat de Lepaqué, seul à connaître le code d’entrée à l’étude. Il souhaita le bonsoir à ses deux collègues et se dirigea vers le bar « Le bout du pont ».
Hubert Lahune l’attendait au fond de la salle. « Bonsoir commissaire » Lémiche était un habitué et le barman le saluait de façon automatique. « Un petit Kir, merci Gérard » et il s’attabla en face du journaliste pour lui faire un rapide résumé de la situation.
– A Rhémont tout le monde connaissait cette invraisemblable prétention du notaire d’être en possession du véritable vase de Soissons, mais personne n’y a jamais cru. C’est donc probablement un fort joli vase qui a été détruit, mais sans aucune valeur historique. D’ailleurs ce fameux vase a-t-il réellement existé ? La chose ne semble pas être absolument établie.
Lahune venait de confirmer ce qu’Amédée lui avait dit quelques minutes plus tôt. Pourtant son flair le ramenait toujours à la piste historique. C’est alors que son téléphone portable sonna.
– Oui, Amédée… Quoi ? Tu en es certain ? Bon, on se retrouve au commissariat dans cinq minutes !
– Antoine, le cinglé qui a assassiné Anne-Lise Syntès s’est échappé hier soir de l’établissement où il avait été placé. Je te laisse les consos, on se reparle demain, salut !
Au soir tombant et traversant le pont sur la Giselle, il eut une pensée émue pour cette femme dont l’élégante silhouette hantait encore toute la cité et dont il aurait bien pu lui aussi tomber amoureux.
Au commissariat Amédée transmit à ses collègues les infos reçues.
– La disparition d’Antoine a été repérée hier soir, au moment du dîner, il a été pointé présent pour le déjeuner. Personne ne l’a vu partir mais la hache du jardinier a disparu.
– Il n’y a plus guère de doute. Il faut le retrouver au plus vite. Rappelez-moi tout le monde et on va passer la ville au peigne fin.
Hildebert et Amédée se répartirent les coups de fils et une demi-heure plus tard le commissariat était au complet. L’organisation de la chasse à l’homme était à peine finalisée que des cris se firent entendre dans la rue à quelques pas du local de police.
– Je suis le soldat franc ! Celui qui est entré dans l’Histoire et qui n’en sortira pas ! Celui qui a osé défier Clovis ! Je suis le soldat franc dont les siècles se souviennent !
Antoine criait sous un lampadaire, il pourfendait l’air d’un bâton qu’il agitait en guise d’épée. Devant ce spectacle pathétique Amédée eut un petit élan du cœur pour cet homme, dont il gardait le meilleur souvenir, un garçon brillant, aimable, plein d’humour et à l’intelligence aiguisée.
Le lendemain et sous bonne escorte on amena Antoine sur les lieux de son « exploit ». Pendant la nuit, il ne s’était pas contenté d’aveux, il avait revendiqué avec force d’avoir brisé le vase de Soissons, il l’avait fait il y a plus de quinze siècles sous les yeux de son chef ébahi et il ne pouvait évidemment supporter l’idée que cette acte valeureux et devenu historique put être nié par un certain Rémi Lepaqué, obscur notaire de Rhémont sur Giselle. L’existence de ce vase de pacotille était un affront qu’il était fier d’avoir lavé.
– Mais Antoine comment avez-vous réussi à pénétrer dans l’étude de maître Lepaqué ?
– Rien de plus simple, monsieur le commissaire. On dit que je suis fou mais mes capacités de raisonnement sont intactes. Amédée d’Huyres, ici présent, vous le confirmera et, vous pardonnerez ce petit écart en immodestie, elles sont assez largement au-dessus de la moyenne. Donc aucune difficulté pour trouver le code d’entrée dans l’étude connaissant la passion de M. Lepaqué pour l’histoire du vase de Soissons. Je savais que la clé était dans les dates, j’avais plusieurs combinaisons mais le premier essai a été le bon, je ne vous en dirai pas plus.
On procéda à une reconstitution des faits à laquelle Antoine se prêta bien volontiers.
A la sortie une petite foule se pressait devant la porte de l’étude. Hubert Lahune avait su trouver le titre pour exciter la curiosité des Rhémontois et titiller leur fierté : « Rhémont sur Giselle efface Soissons ! ». Lémiche ne put éviter une courte allocution, mettant en avant la rapidité de l’enquête, adressant ses chaleureux remerciements à ses collaborateurs avec mention spéciale pour messieurs D’Huyres et De Labardie. Il n’oublia pas de déplorer cette immense perte pour le patrimoine Rhémontois que constituait la disparition de l’inestimable vase. Quant à Antoine on le fit sortir par une porte dérobée du logement du notaire et on le ramena discrètement dans son établissement. Il y fit une entrée triomphale en annonçant sa mort prochaine dans exactement un an.
Consignes de cet atelier en ligne dans le menu : Jeux d’écriture.