Atelier du 27 Novembre à Villenave d’Ornon
Lettre d’Aytekin
Cher ami,
Dans un coin de paradis sur Terre trois moulins à vent. Ils sont bien alignés comme des soldats venus d’une autre planète. Leurs bras et rouages sont prêts à moudre le temps. Leurs statures solides et parfaites leur donnent un mouvement, comme chez les soldats, de pas cadencés. Leurs reflets dans le miroir de l’eau donnent l’impression que les ailes vont brasser l’air, ils vont onduler des vagues qui se jetteront sur l’herbe pour respirer un peu. Plus je regarde ces moulins plus j’entends leurs rouages tourner en moi, accompagnant mes battements de cœur.
Le calme dans le ciel n’est qu’une apparence. Les ailes ne vont pas tarder de trancher les nuages.
Plus je les regarde, plus je me dis :
Moulez, les moulins, moulez le temps que je vous envoie avec mes regards.
Aytekin
Réponse de Gérard à Aytekin
Bien cher Aytekin,
Mais tu ne connais pas l’envers du décor, moi qui connais bien ce lieu je ne puis te suivre sur ta vision du pays batave.
Range un peu tes talents de poète. Descends sur terre, seulement prends la précaution de chausser tes bottes au risque de te retrouver les pieds dans l’eau. Les moulins qui t’enchantent n’ont plus rien à moudre. Le vent du Nord si cher à Jacques Brel n’agite leurs bras que pour pomper l’eau du polder. Pomper encore. Pomper toujours. De simples Shadocks en somme.
Les canaux, les vélos ça fait de belles photos. Il faut y vivre pour découvrir la véritable face de ce plat pays qui court le risque de se voir à moitié inondé par la montée du niveau des mers et océans prévue à plus ou moins brève échéance.
Bien sûr me diras-tu, les tulipes en font un jardin. Et qu’est-ce qu’ils en font de leurs tulipes ?
Imagine plutôt un jardin… un jardin… à la mode de Charles Trenet :
C’est un jardin extraordinaire
Il y a des canards qui parlent anglais
Je leur donne du pain, ils remuent leur derrière
Amicalement,
Gérard
Cher Aytekin,
Merci pour tes louanges pour ce pays qui m’est si cher. Mais, malheureusement, Gérard n’a pas tout à fait tort.
Moi qui connais ce pays comme s’il était mon lieu de naissance, j’ai vu beaucoup de ces moulins à vent.
Il est vrai que “ces simples Shadocks n’ont plus rien à moudre” et ne font que pomper l’eau du polder. Ils ne peuvent plus faire ce travail tout seuls et ont besoin des mains secourables de leurs frères, ces moteurs électriques logés dans de vilains bâtiments de type bunker le long des rivières.
Gérard a raison, le danger d’inondation nous attend toujours au coin de la rue. Lorsqu’on vit, comme moi, sous le niveau de la mer, on doit s’assurer que ses précieuses photos sont sur des étagères hautes et que le cher petit tapis persan est dans le grenier. C’est comme ça.
Cher Gérard,
Je me demande depuis combien de temps tu n’es plus allé aux Pays-Bas.
Savais-tu que les moulins à vent de Hollande inspirent toujours de nombreux Aytekins dans le monde ?
Pourquoi ne pas aller à Kinderdijk dans un après-midi de printemps lorsque les ombres sont encore longues ? Et voilà un groupe de 19 moulins à vent monumentaux qui se tiennent “comme des soldats venus d’une autre planète” dans le polder d’Alblasserwaard.
Comment ne pas devenir poète ou peintre en regardant “leurs reflets dans le miroir de l’eau” ?
Je peux très bien comprendre que l’idée d’une inondation imminente pourrait te faire peur, mais mon cher, cela n’est pas le cas ici.
En Hollande on n’échappe pas à un désastre qui pourrait venir ; on marche sur un chemin parallèle à d’autres chemins possibles. Ici, on met doucement un barrage pour éviter d’être inondé de tristesse.
image: https://www.rijksmuseum.nl/en/rijksstudio/2174585–oasis-de-poesie/collections/pays-bas
Je me suis toujours demandé si La Mancha ne se trouvait pas en Hollande…
Merci pour ces évocations réjouissantes du pays des tulipes et des moulins à vent !